Chiffrer l’empreinte carbone pour motiver le changement Toute stratégie doit reposer sur des données, non seulement pour le cabinet, mais au-delà. Les Drs Bedos et Toreihi mettent ainsi au point un calculateur d’empreinte carbone, baptisé Carbo-Dent, en partenariat avec des collaborateurs en France, pour aider les cabinets du Québec (et à terme ailleurs aussi) à calculer leurs émissions de gaz à effet de serre à partir de données telles que les déplacements du personnel et des patients, la consommation d’électricité, les déchets et les chaînes d’approvisionnement. «Ce n’est pas une question de sensibilisation, assure la Dre Toreihi. C’est une question de chiffres. Les professionnels dentaires ont besoin de voir un graphique et un tableau leur montrant leur empreinte carbone clinique et non clinique et leur plus grande source d’émissions. C’est ça qui fera changer les habitudes.» Faire essaimer un concept à partir d’une seule clinique La clinique de l’Université McGill bénéficie du soutien d’une grande institution, mais la mise en œuvre de changements dans un cabinet privé présente des défis différents, qu’étudie aussi la Dre Toreihi. Son projet de thèse de doctorat vise à aider les cabinets privés du Québec à adopter des pratiques écoresponsables grâce à des modules de formation, au calculateur de carbone et aux études de cas menés à l’Université McGill. «Les cabinets privés n’ont pas les mêmes ressources, convient-elle. Il n’y a personne pour affecter des fonds ou désigner un comité de développement durable. Tout dépend du propriétaire du cabinet – de son temps, de son budget et de sa motivation.» Elle a constaté que bien des dentistes se soucient vraiment de la santé de la planète, mais sont dépassés ou ne savent pas par où commencer. Lors des entretiens, ils ont exprimé leurs frustrations par rapport au coût plus élevé des produits durables et à l’absence de directives standardisées. «Ils font ce qu’ils peuvent, en se basant sur leurs connaissances générales, en recyclant ici et là, mais rien de structuré.» C’est là qu’interviennent les efforts des Drs Bedos et Toreihi. Ils préparent un cours de formation continue avec le soutien de l’Institut national de santé publique du Québec. Cette formation en ligne, donnant droit à des crédits, initiera les dentistes aux pratiques durables et leur montrera comment suivre leur impact. «Nous voulons que la durabilité fasse partie intégrante de l’identité professionnelle», explique le Dr Bedos. «Il ne s’agit pas seulement d’une liste de vérification, mais d’une façon de voir ce qui se passe.» L’outil fait actuellement l’objet d’essais, et les premières analyses ont montré à quel point les émissions liées au transport peuvent être importantes. «En médecine dentaire, le transport peut représenter jusqu’à 60 % de l’empreinte carbone d’un cabinet, dit-elle. Les déchets – malgré tout le plastique – représentent d’habitude moins de 1 %. Cela en étonne plusieurs.» Malgré cela, il ne faut pas négliger les déchets, d’autant plus qu’ils sont tellement visibles. Les articles réutilisables, les dossiers électroniques et d’autres initiatives de réduction des déchets comptent tous dans les changements mis à l’essai par l’équipe. Mais le virage numérique n’a pas que du positif, prévient la Dre Toreihi. « Les outils numériques réduisent les déchets chimiques et le papier, mais nécessitent de l’électricité et des matériaux rares. C’est comme pour les voitures électriques : elles sont meilleures pour la qualité de l’air, mais leurs batteries sont complexes à produire et à recycler. » De nombreux dentistes se soucient vraiment de la santé de la planète, mais sont dépassés ou ne savent pas par où commencer. Lors des entretiens, ils ont exprimé leurs frustrations par rapport au coût plus élevé des produits durables et à l’absence de directives standardisées. Une philosophie tout autant qu’un programme Même en étant fondée sur des données, la perspective du Dr Bedos est philosophique. «Le processus de mesures nous oblige à faire une pause et à réfléchir, non seulement sur le transport et la consommation de matières premières, mais aussi, en fin de compte, sur la structure même de notre société, dit-il. Nous devons nous demander : quel type de civilisation aspirons-nous à construire? Et cette conversation n’a pas seulement sa place dans l’espace public, mais aussi au cœur même de nos facultés et de nos universités.» 26 | 2025 | Numéro 5 Point de mire
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