Volume 9 • 2022 • Numéro 1

Ledeuiln’estpasunmal.Cen’est pas une maladie. Ce n’est pas un diagnostic. C’est simplement une expérience humaine. Dès que vous commencez à parler de deuil, les gens qui le vivent se sentent soulagés. Q Quel genre de recherches ont été menées par l’anthropologie en santé buccodentaire? MEM : Bien, il y a d’abord la manière traditionnelle d’envisager la santé buccodentaire du point de vue de la santé publique. Ces travaux étudient les populations rendues vulnérables et les soins buccodentaires auxquels elles ont (ou n’ont pas) accès. Ils examinent la structure des réseaux buccodentaires qui perdure, y compris l’histoire de la profession dentaire et la façon dont elle était et continue d’être distincte des autres domaines de la santé. Cette histoire a rendu bien des populations vulnérables. Je crois qu’il faut commencer en amont et se demander ce qui a créé des situations de vulnérabilité. Les peuples autochtones, les aînés et les enfants, par exemple, ont été rendus vulnérables par un réseau qui ne fait pas de leur santé buccodentaire une priorité, que ce soit parce que notre société ne choisit pas d’investir dans la fluoruration de l’eau ou même dans l’eau potable ou parce que les collectivités rurales n’ont pas accès à des aliments frais. Et certains patients sont tout simplement jugés comme n’étant pas « faciles » à soigner, tels les jeunes enfants par exemple. Ce ne sont là que quelques-unes des questions sur lesquelles peut se pencher un anthropologue de la santé buccodentaire. Nous nous intéressons aux fondements socioculturels qui nous aident à comprendre les forces et les faiblesses de nos réseaux de santé buccodentaire actuels. Q Comment en êtes-vous venue à vous intéresser au deuil? MEM : J’ai fait de la recherche en soins palliatifs lors de mes études postdoctorales. Durant toute cette période, j’étais curieuse de comprendre ce que vivent les personnes qui perdent un proche – les personnes endeuillées. Mes recherches initiales portaient sur les soins palliatifs pédiatriques, et je me suis intéressée à ce que voulait dire être parent dans notre société après la mort de son enfant. Je voulais aussi en savoir davantage sur ce que les personnes endeuillées attendent de leur communauté et ce dont elles ont besoin. À l’époque, j’ignorais tout de ce sujet. Dans mes travaux, j’ai constaté que le fait que beaucoup d’entre nous (c’est-à-dire les professionnels de la santé et les membres de la collectivité) aient des réticences à parler de la mort et du deuil, à réfléchir au sens de ces passages de la vie, n’aide en rien les parents endeuillés. Ce sentiment de soulagement, mais aussi de peur, nous empêche d’en parler. Or, ce silence isole des personnes qui ont besoin du soutien de leur communauté. Le deuil n’est pas un mal. Ce n’est pas une maladie. Ce n’est pas un diagnostic. C’est simplement une expérience humaine. Dès que vous commencez à parler de deuil, les gens qui le vivent se sentent soulagés. Les personnes endeuillées veulent surtout se retrouver dans un espace sûr pour parler de ce qu’elles vivent. Elles ne veulent pas être considérées comme anormales ni être exclues, réduites au silence ou traitées de façon paternaliste. Devant le deuil, il peut suffire d’écouter la personne. Pour la soutenir, vous pouvez être à son écoute et témoin de son chagrin. Vous n’allez pas changer son deuil. Vous n’allez pas guérir la personne. Mais vous pouvez être à ses côtés et partager sa peine. Pour assurer une telle présence, il faut toutefois une certaine sensibilisation et formation. C’est pour cette raison que j’ai travaillé avec mes collègues pour les amener à apprivoiser le concept du deuil. Q Pourquoi faut-il mieux connaître le deuil en médecine dentaire? MEM : Je dirais que nous avons tous besoin de mieux le connaître – pas seulement les dentistes! L’exercice de la médecine dentaire peut créer un espace pour faire état d’un deuil. Il arrive que des patients meurent. Bien des patients se présentent chez le dentiste en plein deuil. Nos collègues aussi vivent des deuils et des pertes. Dans le domaine des soins palliatifs, le personnel a reçu une formation pour reconnaître la peine et ne pas en faire abstraction. Alors, quand vous travaillez au sein d’une équipe de soins palliatifs et qu’un de vos patients meurt, vous pouvez exprimer vos émotions et chacun sait vous écouter. Le deuil peut ainsi se vivre ouvertement et avec l’appui des collègues. Dans la plupart des autres contextes professionnels et de soins de santé, il nous faut encore apprendre à composer avec le deuil. En conséquence, la mort et la perte passent souvent sous silence. Pourtant, elles se produisent tous les jours autour de nous. Et si nous pouvions faire quelque chose? Et le deuil n’est pas qu’une affaire de décès. En médecine dentaire, il peut arriver que des patients vieillissants doivent accepter la dégradation de la santé de leur bouche. D’autres L’observatoire

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