Y a-t-il un nombre suffisant de nouveaux dentistes au Canada?

Timothy A. Brown, ALA •
Wayne Raborn, DDS, MS •

© J Can Dent Assoc 2001; 67:373-4


En nous appuyant sur le nombre des inscriptions actuelles (Tableau 1), nous sommes d’avis que les facultés de médecine dentaire du Canada ne forment peut-être pas suffisamment de dentistes pour pouvoir répondre aux besoins de demain. Il y a 3 faits marquants pouvant expliquer cette situation.

D’abord, parce que la population des dentistes baby-booms vieillit, un nombre sans précédent de professionnels cesseront d’exercer à temps plein au cours des années 2005 à 2010. Cette tendance a fait l’objet d’études abondantes dernièrement et de nombreux économistes prévoient un taux très élevé de retraite anticipée parmi ceux qui, comme les dentistes, gagnent des revenus élevés.1 Les statistiques révèlent qu’environ 30 % des dentistes ont maintenant plus de 50 ans.2 Il est fort probable que des facteurs, comme les héritages, les gains fortuits à la bourse et le changement d’attitude vis-à-vis du travail à temps plein, inciteront ce segment de professionnels à vendre ou à fermer leurs cabinets pour commencer plus tôt que la génération précédente une retraite à temps plein ou à temps partiel. Ces prises de retraite vont créer des centaines de postes à temps plein au Canada pour les dentistes qui viennent d’obtenir leur diplôme ou qui l’obtiendront au cours des 5 prochaines années.

Ensuite, dans la plupart des universités canadiennes, les femmes dentistes comptent pour 50 % ou plus des étudiants en médecine dentaire. En raison de ce changement, le nombre des dentistes à temps partiel augmentera énormément, les femmes étant traditionnellement portées vers la famille et ayant d’autres intérêts non dentaires. Les statistiques révèlent que la carrière moyenne des femmes dentistes est de 20 ans comparativement à 35 ans pour les hommes dentistes.3 Cette tendance créera des postes vacants à temps plein et à temps partiel.

Enfin, les changements aux exigences imposées par le Bureau national d’examen dentaire (BNED) réduiront vraisemblablement d’environ 30 à 40 par année le nombre des dentistes formés à l’étranger qui obtiennent le droit d’exercer. Depuis le 1er janvier 2000, le BNED a aboli les examens réguliers imposés aux diplômés des programmes de formation non agréés; ceux-ci doivent maintenant avoir suivi un programme «préparatoire» de 2 ans avant de pouvoir s’inscrire aux mêmes examens que les diplômés des facultés de médecine dentaire agréées du Canada.

Ces facteurs ont déjà entraîné une baisse radicale du nombre de dentistes dans le Nord du pays. Cette tendance se fera sentir dans les grands centres urbains dans les 3 à 5 prochaines années et aura un impact sur le nombre de dentistes cherchant à travailler à salaire/pourcentage ou à acheter un cabinet.

Si nous projetons ces tendances encore davantage au cours des 5 à 10 prochaines années, il apparaît clairement qu’il y aura une pénurie de dentistes à temps plein au Canada. Cette pénurie risque de faire baisser les prix des cabinets établis lorsqu’on y ajoute les taux normaux de décès, d’invalidités et de prises de retraite. En supposant que la carrière type d’un dentiste dure 35 ans, 3 % des dentistes canadiens vont cesser d’exercer tous les ans, ce qui équivaut à 480 dentistes par année si on estime qu’il y a grosso modo 16 000 dentistes au Canada. Et si nous ajoutons les autres raisons déjà mentionnées pour quitter la profession, nous pouvons voir que les départs vont être plus nombreux que les arrivées.

Il y a 2 autres tendances mineures à prendre en considération. Les professionnels détiennent dans des REÉR d’importantes sommes qui leur permettent de prendre leur retraite à un âge plus jeune. De plus, la capacité de passer d’une province à une autre, comme le propose l’Accord sur le commerce intérieur, permettra aux dentistes de quitter des localités pour aller dans des endroits plus attrayants pour passer leur retraite. Un exode de certaines régions, surtout des régions rurales et éloignées, influerait sur le nombre des occasions d’exercer qui sont offertes et augmenterait la demande de dentistes. Ces régions ont déjà du mal à trouver des dentistes pour remplacer ceux qui partent.

Alors que ces tendances s’affirmeront de 2005 à 2010, les principaux centres urbains connaîtront eux aussi une pénurie de dentistes. Cette baisse se traduira par une pénurie d’acheteurs pour les nombreux cabinets offerts sur le marché et par une réduction de leur valeur. En outre, vu les nombreuses occasions offertes, les dentistes cherchant des postes à salaire/pourcentage pourront exiger une rémunération plus élevée (de 45 à 50 %).

Un autre important facteur à prendre en considération est la nouvelle gamme de services que demanderont les patients. Et s’il arrivait que leurs besoins augmentent subitement? Des experts en dentisterie prévoient une énorme augmentation de la demande pour les soins de restauration par notre population vieillissante. Sur le marché actuel, les procédures esthétiques constituent le domaine de croissance le plus élevé dans l’exercice de la dentisterie.4 Dans 10 à 15 ans, ce sera au tour de la dentisterie gériatrique. Dans plusieurs régions du Canada, nous avons juste assez de dentistes pour répondre aux besoins actuels. Que se produira-t-il si les besoins des patients augmentent et que les taux de la main-d’œuvre dentaire diminuent? Qui traitera les patients en surnombre? Les hygiénistes auront-elles leurs propres cabinets pour combler les lacunes? Les denturologistes auront-ils le droit d’être encore plus autonomes et verront-ils leur champ d’exercice accru? Le BNED sera-t-il obligé d’assouplir ses nouveaux règlements afin de pouvoir accepter des praticiens qui ne satisfont pas aux normes élevées d’aujourd’hui?

Qui prévoit les ratios de la main-d’œuvre dentaire pour la prochaine décennie? Qui possède l’autorité ou le budget pour augmenter le nombre des inscriptions? Le marché libre déterminera si les diplômés vont exercer dans des régions où leurs services sont le plus nécessaires ou dans des régions plus lucratives.

Y a-t-il un nombre suffisant de nouveaux diplômés en médecine dentaire au Canada? Étant donné que la hausse du nombre des inscriptions dans les facultés de médecine dentaire dépend largement des ressources disponibles et qu’il faut plusieurs années avant d’obtenir des résultats, il se peut très bien qu’il y ait une pénurie de dentistes dans un proche avenir. Nous sommes d’avis que les facultés de médecine dentaire du Canada devraient songer à augmenter dès maintenant le nombre des inscriptions en première année afin d’assurer une offre suffisante de dentistes plus tard. 


M. Brown est le président et le directeur général de ROI Corporation.

Le DrRaborn est vice-doyen et directeur du Département de la dentisterie à la Faculté de médecine et de dentisterie, Université de l’Alberta.

Les vues exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les opinions ou les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.


Références

1. Foot DK. Boom Bust and Echo. Toronto : Macfarlane Walter & Ross, 1996; 2:39.

2. Collège royal des chirurgiens dentistes de l’Ontario, listes 2000. 31 mars 2000.

3. Brown TA. Un-audited study of average ages of selling dentists, 1995-1999. Age of Vendors 2000; p. 1-3.

4. Association dentaire de l’Ontario. The Cost of Practice Monitor. 1999; p. 25-6.