• Robert M. Kaufmann, DMD, MS •
© J Can Dent Assoc 2001; 67:201-3
Les Canadiens n’ont pas l’habitude de voir un «état de compte» quand ils sont hospitalisés ou consultent leur médecin. Souvent, nos patients s’attendent à ce qu’il en soit ainsi avec leurs régimes de soins dentaires. Ils ne comprennent pas qu’il faille distinguer entre «régime de soins dentaires» et «prestations dentaires». Quand une procédure recommandée par un dentiste n’est pas couverte par son régime, il arrive fréquemment que le patient la rejette. Or, ce n’est certes pas là la meilleure façon de prendre une décision au sujet du traitement. Cependant, pour de nombreux patients et pour les dentistes qui les traitent, c’est un fait : il faut travailler suivant les limites des prestations ou perdre le patient.
En choisissant cette méthode pour planifier leurs soins de santé, des patients permettent maintenant aux sociétés d’assu rance de décider quelles procédures ils recevront. En tant que professionnels de la santé, notre plus grande faute est notre incapacité à convaincre ces patients qu’en étant nos partenaires plutôt que ceux de leur assureur, ils sont plus susceptibles d’acquérir une santé bucco-dentaire optimale.
L’érosion en dollars réels de la valeur des soins dentaires couverts La plupart des régimes de soins dentaires ayant un maximum annuel de 1200 à 1500 $ ont les mêmes montants en dollars depuis 15 ou 20 ans. Entre-temps, les honoraires dentaires ont dû être accrus d’environ 3 à 4 % par année en moyenne afin de pouvoir couvrir les coûts des augmentations de salaire, de la nouvelle technologie, des fournitures, des changements apportés aux procédures de contrôle des infections et de la pollution, et de l’inflation. Il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que les limites de prestations qui étaient à peine suffisantes il y a un quart de siècle le soient tout à fait aujourd’hui. Ce phénomène, que j’appelle «capitation rampante», est simplement une gestion des soins déguisée ayant pour conséquence une érosion constante du pouvoir d’achat réel des prestations. Les assureurs continuent à allonger le temps admis entre les examens, à abaisser l’échelle des indemnités, à restreindre les traitements esthétiques, prothétiques et implantaires, et souvent à refuser la reprise d’un traitement à cause de restrictions touchant la fréquence. Pourtant, leurs primes sont demeurées fixes ou ont augmenté, alors que leurs coûts de traitement des demandes d’indemnisation ont énormément diminué (grâce à l’efficacité de l’échange électronique de données).
La lutte contre la capitation
Des représentants de l’ADC ont déclaré que leur premier impératif est de combattre la capitation et de préserver «la liberté de choix et l’intégrité de la relation patient-dentiste» (courrier personnel du Dr Louis Dubé, président du Comité directeur sur les régimes de soins dentaires, 7 janvier 2001). La relation patient-dentiste ne veut rien dire lorsque les choix du patient en matière de traitement sont d’abord et avant tout déterminés par les restrictions financières imposées par son régime. Les assureurs atteignent les objectifs de la capitation en plein sous notre nez simplement en maintenant fermement les niveaux des prestations. Pendant ce temps, tandis que leurs frais généraux augmentent tous les ans, les dentistes se font mourir en essayant de répondre aux besoins des patients dont le coût des traitements s’accroît de plus en plus. Que le traitement soit effectué par un groupe spécifique de dentistes qui touchent des honoraires fixes pour chacun des patients (capitation) ou par un dentiste qui est le choix du patient et qui travaille suivant une limite de prestations stricte, le résultat obtenu est le même : les assureurs contrôlent leurs coûts tandis que les dentistes continuent de voir les leur augmenter.
Les conséquences de la situation actuelle Certaines procédures d’endodontie et de parodontie vont continuer à gruger des pourcentages plus élevés dans l’ensemble des prestations des patients. La reconstruction d’une seule molaire ou la reprise d’un traitement sur celle-ci (traitement d’endodontie et couronne) épuisera pratiquement le montant des prestations auquel un patient a droit pour toute une année civile, ne laissant rien pour tout autre traitement régulier. Le clinicien doit donc envisager :
• de renvoyer le cas à un spécialiste et de ne disposer d’aucune prestation pour le reste de l’année;
• d’extraire la dent afin de sauvegarder les prestations qui restent au cas où un autre traitement serait nécessaire;
• d’essayer d’effectuer un traitement compliqué qui devrait normalement être confié à un spécialiste en raison de son degré de difficulté.
Il en résultera en général moins de renvois à des spécialistes, plus d’extractions et un plus grand nombre de traitements manqués exigeant une reprise compliquée et coûteuse. C’est là une situation que notre profession ne saurait tolérer.
Il est intéressant de remarquer que, dans des provinces où les barèmes d’honoraires sont les plus bas, la production et les revenus des dentistes sont les plus élevés2. Il en est ainsi même si la vaste majorité des dentistes respecte le barème et accepte la cession directe des prestations. Dans ces provinces, les dentistes ont appris à «jouer le jeu» bien après des décennies d’exercice. Lorsque les hausses du barème restent faibles, les assureurs gardent les niveaux des prestations à près de 100 % des honoraires recommandés pour la plupart des procédures dentaires régulières. Le principe de cette philosophie est : «Ne sois pas avide et le statu quo pourra être maintenu.» Malheureusement, dans ces provinces, on est beaucoup plus enclin à préparer deux dents antérieures intactes pour des piliers qu’à effectuer un seul implant, simplement parce que la première procédure est couverte et que l’autre ne l’est pas. Cette façon de faire n’est sans doute guère très bonne pour la dentisterie et les patients.
Au lieu d’exécuter des plans de traitement complets, les cli niciens commencent à traiter les patients uniquement en cas d’urgence. Les dentistes songeront à effectuer un traitement couvert plutôt que le meilleur traitement qui soit pour le patient. Dans les cas extrêmes, des cliniciens peuvent exécuter une procédure, mais présenter une demande d’indemnisation pour une procédure différente qui est couverte et de valeur égale. Ou ils peuvent changer les dates du service afin de per mettre au patient d’être indemnisé. C’est une fraude, et c’est le symptôme d’un problème qui n’est pas prêt de disparaître bientôt. Les cliniciens obligés de travailler avec ces contraintes se sentent justifiés d’assouplir les règles. C’est le jeu des assurances.
Tout dentiste doit éduquer ses patients sur les limites des prestations. Malheureusement, en ces temps de frais généraux élevés, la motivation est faible pour ce faire. La plupart des dentistes voient cet effort comme une perte stérile en temps de travail précieux. Bon nombre remplaceraient volontiers des restaura tions couvertes par un régime au lieu de discuter avec leurs patients de sujets aussi difficiles, compliqués et impopulaires, surtout quand ces discussions ne peuvent faire l’objet d’une demande d’indemnisation. Les dentistes auront besoin de directives, d’aide et d’appui de la part des organismes nationaux et provinciaux pour espérer convaincre les Cana diens de changer leur attitude.
Si nous sommes satisfaits de faire affaire avec des patients qui choisissent uniquement des traitements couverts par leur régime, nous aurons renoncé à notre autonomie. Si les prestations sont insuffisantes, nous serons alors poussés à convaincre les patients d’acheter plus d’«assurance.» À ce moment-là, notre transformation sera complète! Les dentistes seront devenus des vendeurs pour les assureurs parce que c’est seulement ainsi que les patients accepteront les traitements. Pour qui travaillerons-nous réellement alors?
Tout comme les dentistes qui doivent se garder au courant des techniques, de la formation, de l’équipement, des salaires et de l’asepsie, les sociétés d’assurance et leurs souscripteurs doivent reconnaître qu’ils ont le devoir de changer leur couverture avec le temps. S’ils refusent, les dentistes devront con vaincre les patients d’augmenter le montant des frais qu’ils paient de leur poche. Ce sera une pilule difficile à avaler, surtout pour ceux qui, pendant des années, avaient l’habitude de remettre un formulaire à la réception et de voir les prestations auxquelles ils avaient droit acquittées de 75 à 100 % de leurs coûts de traitement. Les dentistes auront besoin de courage et de bons outils pour convaincre les patients de faire cette transition. Un échec produira une situation insoutenable dans laquelle on demandera aux dentistes de travailler en fonction de restrictions financières, confirmant ainsi que les meilleurs intérêts et la santé de leurs patients sont en danger. La capitation rampante aura vaincu.
Conclusion Notre première erreur a été d’accepter la cession des prestations. Notre seconde et dernière erreur sera de n’avoir pas su reconnaître que la capitation rampante est en train de se répandre grâce aux doubles pressions exercées par les frais généraux qui ne cessent d’augmenter et les intransigeantes limites de prestations. Nous devons trouver une solution à ce problème ou faire face à une désagréable surprise, à savoir que notre façon d’exercer à l’avenir sera déterminée par ce que les assureurs (et leurs clients, nos patients) nous permettront de faire plutôt que par ce que nous croyons que nos patients ont vraiment besoin. Notre autonomie aura été perdue alors que la capitation rampante nous étouffera lentement en nous réduisant à la soumission. Sommes-nous prêts à composer avec ça?
Le Dr Kaufmann exerce dans un cabinet spécialisé en endodontie à Winnipeg (Manitoba). Courriel : rmk@endoexperience.com.
Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.
Références 1. Sondage Manifest sur la gestion des soins. 1999. Commandé par l’ADC.
2. Statistique Canada. Série : Le Pays. 1996 : Recensement de la population.