• Gaétan Noreau, DMD, MSc •
Sommaire
Les malformations vasculaires des maxillaires peuvent provoquer des complications catastrophiques, mais aucun consensus ne semble établi quant à leur traitement. La littérature présente la pathophysiologie et les aspects cliniques de ces lésions ainsi que les optiques divergentes des auteurs. Le traitement par cathétérisation et embolisation, avec ponction trans-osseuse directe au cyanoacrylate, serait le moins morbide et le plus définitif dans certaines conditions, comme l’atteste le cas de cette patiente de 9 ans porteuse d’une malformation vasculaire mandibulaire à haut débit.
Mots clés MeSH : arteriovenous malformations/diagnosis; arteriovenous malformations/therapy; case report; mandible/blood supply
© J Can Dent Assoc 2001; 67(11):646-51
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
Les malformations vasculaires (MV) intraosseuses de la sphère maxillo-faciale entraînent parfois des urgences dentaires et peuvent provoquer des situations défigurantes, morbides, voire fatales1-6. La proximité des dents peut créer des catastrophes. Une revue des cas mortels par Lamberg et autres1 montre que la plupart des exsanguinations sont le résultat d’extractions dentaires, le dentiste ignorant l’existence de la malformation artérioveineuse. Bien que la MV soit rare, le dentiste doit toujours en envisager la possibilité et savoir en reconnaître les manifestations cliniques pour proposer un traitement adéquat.
De nombreux termes sont utilisés pour désigner cette lésion, notamment anévrisme artérioveineux, hémangiome caverneux, hémangiome central, hémangiome pulsatile, angiome, «shunt» artérioveineux, fistule artérioveineuse, malformation vasculaire et malformation artérioveineuse7. Avant les années 80, les lésions vasculaires étaient désignées comme des «hémangiomes»7. Par la suite, elles ont été subdivisées en hémangiomes et malformations vasculaires8.
Étiopathogénie
Ces lésions résultent d’une anomalie embryologique du système vasculaire. Les hémangiomes seraient provoqués par un défaut de différenciation aux stades précoces de l’embryogenèse7. Habituellement extra-osseux, ils se remarquent plus communément à l’enfance et tendent à régresser ou à disparaître à l’adolescence. Ils sont rarement associés à des hémorragies fatales9.
En revanche, les MV dérivent d’une perturbation des stades tardifs de l’angiogenèse (stade tronculaire) et entraînent la persistance d’anastomoses artérioveineuses présentes lors de la vie embryonnaire3. Elles peuvent être capillaires, lymphatiques, veineuses, artérielles ou mixtes. Les MV d’origines artérielles ou artérioveineuses sont souvent désignées comme des «malformations vasculaires à haut débit» et sont souvent à l’origine d’hémorragies abondantes, parfois mortelles9.
Les MV, qui se présentent généralement comme des anomalies de développement de naissance, progressent de façon proportionnelle avec la croissance10. L’augmentation de volume de ces MV asymptomatiques et non perceptibles en bas âge est favorisée par des facteurs hémodynamiques locaux. Les zones de faible résistance vasculaire provoquent un détournement sanguin (shunt) avec une diminution de la perfusion des tissus périphériques favorisant une circulation collatérale, une dilatation progressive des artères nourricières avec atrophie de leur paroi musculo-élastique et baisse de leur résistance, et une dilatation et une artérialisation des veines de drainage dues à l’augmentation de la pression intra-luminale3. Le sang dérivé à la malformation fait progresser la lésion, et la croissance de la lésion provoque en retour une dérivation accrue du débit sanguin, d’où un cercle vicieux.
Manifestations cliniques
Les MV sont dues à des facteurs hormonaux, infectieux ou traumatiques11 — ce qui expliquerait leur découverte tardive, à la fin de l’enfance. Les théories traumatiques12 demeurent cependant controversées.
Les MV mandibulaires apparaissent habituellement à la deuxième décennie, avec des extrêmes allant de 3 mois à 74 ans3. Certains auteurs ont noté une prédominance chez les femmes (2:1), d’autres une fréquence égale chez les hommes et les femmes.
Les MV intra-osseuses à proximité de l’os alvéolaire se manifestent souvent à partir d’un saignement péricoronaire, par des dents mobiles et parfois par une perturbation de l’occlusion10. Les hémorragies gingivales semblent présenter une symptomatologie commune à la plupart des cas répertoriés2. De nombreux cas d’hémorragies abondantes, voire d’exsanguinations, ont été rapportés suite à l’extraction de dents associées à ces MV2,9.
Les lésions plus centrales sont douloureuses et produisent une altération de la morphologie faciale, un souffle parfois avec «thrill» et des déficits neuro-sensitifs10. Les naevi vasculaires ou les phlébectasies peuvent décolorer la muqueuse ou la peau adjacente 2,3. Une atteinte au niveau du nez, des sinus ou des orbites se traduit par des obstructions nasales, épistaxis, rhinites, sinusites, proptoses ou diplopies10. Les manifestations cardiaques (cardiomégalie, insuffisance cardiaque, souffle) sont rares2,3.
Signes radiologiques
À la mandibule et au maxillaire, la lésion produit une image radio-claire mal définie10, qui évoque souvent une image de «nid d’abeille» ou de «bulles de savon», avec de petites lacunes aérolaires arrondies et inégales2,3,13. La rhizalyse a été observée, procurant un aspect de dents flottantes dans l’érosion osseuse alvéolaire avoisinante3,9.
La progression de la lésion peut mimer l’aspect de certains kystes odontogéniques. L’image radiologique variant et suggérant de nombreux diagnostics, d’autres examens sont indispensables.
La tomodensitométrie et l’imagerie en résonance magnétique aident surtout à préciser l’étendue de la lésion, l’érosion osseuse et la contribution des vaisseaux majeurs10.
L’artériographie super-sélective demeure l’outil essentiel à l’identification de la MV et des vaisseaux contributoires13. Cette technique est réalisée par injection d’une substance radio-opaque dans le système vasculaire par un cathéter à proximité de la région. L’image est traitée à l’ordinateur, et les densités osseuses sont soustraites pour une illustration plus précise du système vasculaire.
L’artériographie super-sélective de la carotide externe doit être réalisée de façon bilatérale vu l’importance des collatérales et anastomoses multiples de l’artère maxillaire14.
Approches thérapeutiques
Divers agents sclérosants (morrhuate de sodium, eau bouillante, moutarde azotée, etc.) ont été utilisés pour traiter les lésions à haut débit, mais se sont révélés inefficaces car ils étaient déplacés de leur site d’action par la vélocité du flot sanguin7. D’autres solutions plus anciennes ont été abandonnées en raison de leur peu de succès et de leurs effets secondaires3.
La ligature de la carotide externe est amplement citée comme adjuvant dans de nombreuses approches, mais elle est fortement déconseillée par la plupart des auteurs 3,4,7,11,13,15-17 car les nombreuses anastomoses (carotide interne, ophtalmique, vertébrale, cervicale et carotide externe contra-latérale) favorisent l’apparition rapide d’un réseau de suppléance. Par ailleurs, elle interdit toute angiographie pour contrôle ou embolisation future.
L’embolisation, qui consiste à obturer les vaisseaux contribuant à la lésion, est employée depuis fort longtemps7. Plusieurs matériaux, habituellement mis en place par cathétérisation fémorale3, ont été utilisés : particules d’alcool polyvinyle10,17,18, muscle19, Gelfoam2,11,13, cyanoacrylate3,7,16,17,20,21, spirales métalliques15,21,22, collagène4,23. Certains auteurs présentent cette technique comme un adjuvant préalable et indispensable à la chirurgie d’excision et de reconstruction9, tandis que d’autres l’utilisent comme modalité définitive et exclusive16. Ses limitations sont liées à la nature du matériau d’obturation et aux caractéristiques des lésions.
Les artères nourricières principales de la malformation étant embolisées, le flot sanguin est redirigé vers les collatérales qui, invisibles à l’angiographie car peu perfusées, se dilatent à la suite du changement hémodynamique et viennent ré-irriguer la malformation2,3,11,22. La récidive s’ensuit.
L’emploi de matériaux liquides semblerait plus efficace pour obturer les artères nourricières distales et diminuer le risque de récidive21. Des embolisations multiples sont parfois nécessaires, et la voie d’accès veineuse peut devenir complémentaire à l’embolisation artérielle conventionnelle15,21.
Récemment, la ponction directe du lac vasculaire par voie trans-osseuse a été proposée16,24,25. Le cœur de la malformation avec la totalité des pédicules vasculaires associés sont alors théoriquement embolisés. Rodesh et autres16 ont réalisé une étude intéressante présentant un taux de succès de 100 %. Les 9 patients traités au cyanoacrylate ont été soit stabilisés à long terme (33 %) ou guéris (67 %) sans autre traitement16.
La conjugaison de l’embolisation avec traitement chirurgical demeure l’approche moderne la plus traditionnelle2,4,5,9,11,18,22,26-28. Ce procédé contrôle la phase hémorragique aiguë, mais il ne supprime pas le risque de récidive dû à l’apparition d’un réseau de suppléance collatérale. Toutefois, elle permet de réduire le flot sanguin menant, dans des délais allant de 48 heures à 2 semaines, à une chirurgie d’excision11. La résection du fragment mandibulaire contenant la lésion a longuement été considérée essentielle à une guérison totale18,22,27. Le curetage du fragment réséqué avec réimplantation immédiate diminue cependant la morbidité de la procédure et la difficulté de reconstruction23,27. Le curetage lésionnel sans résection conserve un bon support osseux, mais l’exérèse est souvent jugée insuffisante3.
Histoire de cas
Une patiente de 9 ans nous est référée en janvier 2000 pour évaluation d’une lésion intra-osseuse mandibulaire gauche asymptomatique. Son dentiste avait remarqué l’extrusion avec mobilité progressive de la dent 36 sans autre signe clinique.
Aucune dysmorphose ou asymétrie n’est notée à l’examen facial. Un léger gonflement du cortex buccal mandibulaire gauche est observé. L’extrusion discrète et la mobilité dentaire sont confirmées. Une excroissance granulomateuse gingivale non-hémorragique est notée. Aucun souffle vasculaire n’est perçu.
L’examen panoramique initial montre une large radiotransparence, multiloculaire de la dent 34 incluse jusqu’à la région de l’épine de Spix et du col condylien. On note une rhizalyse de la dent 36, en extrusion (ill. 1a). La tomodensitométrie mandibulaire confirme l’étendue de la lésion, avec érosion surtout aux dépens du cortex lingual (ill. 1b). Le diagnostic différentiel évoque : kyste folliculaire, granulome central à cellules géantes, fibrome améloblastique, kyste anévrismal, améloblastome.
Une biopsie incisionnelle sous anesthésie générale est proposée en chirurgie d’un jour. L’ablation simple de la dent 36 provoque une hémorragie abondante. L’hémostase est obtenue par une pression digitale et par déplacement d’un lambeau buccal. La patiente quitte après observation d’une hémostase adéquate, mais elle est admise en urgence le lendemain pour traitement d’une hémorragie gingivale massive et spontanée, contrôlée par la pression digitale soutenue. Une angiographie cérébrale et du massif facial est pratiquée sous anesthésie générale (ill. 1c). Cet examen révèle la malformation artérioveineuse du corps mandibulaire gauche, nourrie par les artères faciale et alvéolaire inférieure gauche.
En collaboration avec un radiologiste d’intervention, nous effectuons une embolisation par ponction directe du cortex mandibulaire lingual et injection d’un mélange de cyanoacrylate et de lipiodol, sous pression digitale constante au site hémorragique. L’occlusion complète de la malformation et l’arrêt du saignement sont obtenus après 3 injections de solution sous contrôle fluoroscopique et angiographique (ill. 2a, 2b, 2c).
La radiographie pulmonaire postopératoire montre la présence de matériel radio-opaque au niveau de plusieurs artères pulmonaires distales bilatérales, témoignant du passage veineux du matériel d’embolisation sans incidence clinique. Une antibiothérapie et un traitement anti-inflammatoire sont prescrits.
Au cours des 6 mois suivant l’embolisation, 2 épisodes infectieux locaux sont traités par antibiothérapie. Une déhiscence muqueuse exposant le matériel d’embolisation au niveau de l’alvéole de la dent 36 est constatée.
Le contrôle radiographique 6 mois après l’embolisation révèle alors des changements suggérant une revascularisation de la lésion. Une ostéomyélite chronique est suspectée vu l’important épaississement du cortex buccal mandibulaire gauche (ill. 3a, 3b). Ces 2 diagnostics sont rejetés après une scintigraphie au gallium et une artériographie de contrôle normales.
Devant ce tableau, nous procédons au curetage complet du matériel d’obturation. Les dents 37 et 38 sont sacrifiées. Les cultures bactériologiques confirment une contamination importante par l’actinomyces odontolyticus. La scintigraphie au gallium positive impose alors une antibiothérapie orale de 4 mois (clindamycine). Les contrôles à 14 mois confirment l’excellente guérison gingivale, l’absence de signes infectieux, le maintien d’une symétrie faciale et une ossification complète du site lésionnel (Ill. 4). La prise en charge orthodontique et le suivi clinique se déroulent actuellement sans incident.
Discussion
Outre l’absence des signes ou symptômes prémoniteurs usuels des MV (saignement gingival, dent pulsatile, thrill, etc.), la similarité du cas que nous soumettons avec les histoires de présentations et d’évolutions classiques s’arrête au constat final : une restitution anatomique presque intégrale, sans handicap résiduel et sans obstruction apparente à la croissance mandibulaire.
Pourtant, le sort aurait pu en décider autrement, les caractéristiques cliniques et radiologiques ayant privilégié une approche excluant au départ l’étiologie vasculaire.
Raison suffisante pour devenir encore plus méfiant lors de l’établissement d’un diagnostic différentiel face à une radiotransparence des maxillaires, particulièrement chez les jeunes patients et en l’absence des stigmates habituels des malformations des MV. Dans un tel contexte, l’algorithme d’investigation suggère parfois la ponction à l’aiguille pour laquelle une réponse négative ne s’avère pas totalement exclusive, mais qui exige une réaction d’urgence lorsque positive. Il faut donc adopter une attitude prudente et préventive au moment des manœuvres diagnostiques initiales.
Lorsque la lésion est avérée, l’orientation thérapeutique n’en devient pas plus simple. La multiplicité des approches contraste avec la rareté de l’incidence de ce type de malformation, mais elle est directement reliée à l’urgence de l’intervention requise et au caractère définitif des mesures à appliquer.
Par contre, la morbidité du traitement doit s’éloigner le plus possible des séquelles débilitantes et déformantes qui ont, dans le passé, caractérisé certaines modalités chirurgicales même si elles ont réussi à conjurer la mort. Ainsi, l’embolisation s’est taillée une place prédominante dans la panoplie moderne de traitement, comme Frame l’avait exhaustivement relaté en 198729.
La compréhension de la pathophysiologie a écarté la ligature de la carotide externe et les approches chirurgicales directes de l’armamentarium courant. Toutefois, les méthodologies endovasculaires qui les remplacent ne sont pas pour autant exemptes de risques ou de complications : une myriade d’inconvénients mineurs ou de séquelles majeures peut survenir au site de ponction, le long du trajet vasculaire et au cours de l’injection du matériel obturateur. L’embolisation super-sélective constitue notamment le cheval de bataille de l’approche thérapeutique moderne, sous diverses formes : exclusive et définitive, adjuvante à une chirurgie de résection-reconstruction ou encore combinée à une approche rétrograde (veineuse).
De récents rapports16,24,30 en faveur de l’utilisation d’isobutyl cyanoacrylate en ponction directe intra lésionnelle nous orientent vers une nouvelle perspective. La morbidité rapportée semble plus restreinte, bien que le recul demeure encore limité.
Son plus grand avantage pourrait résider dans sa capacité intrinsèque à éliminer tout le treillis vasculaire lésionnel nourricier, favorisant, particulièrement chez l’enfant, la pleine manifestation du potentiel régénérateur de la croissance somatique en remplacement de l’anomalie vasculaire. Le choix de cette approche dépendrait donc non seulement du volume, de l’accessibilité ou de la contiguïté anatomique de la lésion aux structures importantes, mais également de la capacité organique de régénérescence du sujet traité.
Conclusion
La rareté des MV n’a d’égal que leur morbidité et l’urgence des mesures à prendre lors de leur découverte, en toutes circonstances. Un haut degré de suspicion préside à leur diagnostic et atténue fortement les risques de catastrophe après leur mise en évidence. Le traitement par cathétérisation et embolisation sous ponction intra lésionnelle directe au cyanoacrylate permet une récupération anatomique et fonctionnelle conservatrice, peu invasive et sécuritaire quand l’anatomie et l’état clinique en permettent l’emploi.
Remerciements : Les auteurs tiennent à remercier pour sa contribution clinique et à l’iconographie le docteur Jean-Luc Gariépy, radiologiste au CHA/Hôpital de l’Enfant-Jésus.
Le Dr Noreau est résident sénior inscrit au programme de spécialisation en chirurgie buccale et maxillo-faciale de la Faculté de médecine dentaire de l’Université Laval et au CHA/Hôpital de l’Enfant-Jésus.
Le Dr Landry est directeur du programme de spécialisation en chirurgie buccale et maxillo-faciale et professeur assistant à la Faculté de médecine dentaire de l’Université Laval et au CHA/Hôpital de l’Enfant-Jésus.
Le Dr Morais est chef du service de chirurgie buccale et maxillo-faciale au CHA/Hôpital de l’Enfant-Jésus et professeur assistant à la Faculté de médecine dentaire de l’Université Laval.
Écrire au : Dr Gaétan Noreau, 1082, rue de L’Améthyste, Charlesbourg (QC) G2L 3A4. Courriel : gnoreau@globetrotter.net
Les auteurs n’ont aucun intérêt financier déclaré.
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Le Centre de documentation de l’ADC
Les membres de l'ADC peuvent emprunter une copie du manuel Benign Lesions of the Jaws, Oral and Maxillofacial Clinics of North America, février 1991. Pour recevoir une copie par la poste, communiquez avec le Centre de documentation, tél. : 1-800-267-6354 ou (613) 523-1770, poste 2223; téléc. : (613) 523-6574; courriel : info@cda-adc.ca.