Burton H. Goldstein, DMD, MS, FRCD(C)
Sommaire
Voici le deuxième dune série de cinq articles offrant un aperçu contemporain et une introduction à la dentisterie non conventionnelle (DNC) et sa corrélation avec la médecine non conventionnelle (MNC). Il arrive que des den tistes offrent des services non conventionnels et utilisent ou prescrivent des produits non conventionnels, par croyance personnelle, ennui de la pratique conventionnelle, manque de compréhension du processus scientifique ou motivation financière. Pour promouvoir la DNC, des soi-disant spécialités non reconnues sont publicisées. Les utilisateurs de pratiques non conventionnelles ont des caractéristiques variées; cependant, les utilisateurs de la DNC sont plus souvent des femmes bien instruites. Les utilisateurs et les praticiens de la DNC ressemblent en général à leurs homologues de la MNC. Certains traitements de la DNC sont plus invasifs et coûteux que ceux de la dentisterie conventionnelle
Mots clés MeSH : alternative medicine; dentistry; science
© J Can Dent Assoc 2000; 66:381-3
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es dentistes autorisés à exercer ont reçu une formation rigoureuse en dentisterie scientifique et écrit de nombreux examens de connaissances scientifiques pour obtenir leur permis dexercer. Or, nombreuses peuvent être les raisons dabandonner (complètement ou en partie) la pratique scientifique. Les dentistes sappuient sur la formation clinique et lexpérience qui en découle pour évaluer lefficacité des traitements. Lenseignement dentaire encourage dadhérer à lautorité dont elle produit des symboles (des gurus). Beaucoup blâment les problèmes fondamentaux de lenseignement scientifique et du raisonnement critique, que les facultés de médecine dentaire ont reconnu dans les programmes détudes actuels1. Nul doute que les individus ont des raisons multiples et complexes de pratiquer la dentisterie non conventionnelle (DNC). Parmi ces raisons, citons lintérêt et la croyance dans la santé holistique plutôt que dans la pratique axée sur les dents, lennui de la dentisterie conventionnelle, la gratification personnelle et la motivation financière2.Lenseignement et les titres de compétences dentaires
Une partie importante de la promotion et du marketing de la DNC est lutilisation de titres de compétences comme les diplômes, les adhésions à des organismes et la «spécialisation». La dentisterie voit beaucoup dorganismes intéressés se former pour promouvoir les croyances non conventionnelles plutôt que pour faire progresser la science, la santé publique ou la profession. Ces organismes offrent des titres dadhésion sans fondement scientifique, de même que des diplômes et des certificats sans normes ni organismes dagrément reconnus. La spécialisation dans des domaines non scientifiques et non reconnus est souvent revendiquée ou sous-entendue, les «bureaux de spécialité» offrant des certificats sans substance. Parmi les soi-disant spécialités, on compte la dentisterie esthétique, lATM, la dentisterie holistique et la détoxication de lamalgame. Les cours de formation continue à durée limitée peuvent être déclarés suffisants pour les attestations et expertise approfondies mais ne peuvent pas être comparés aux programmes de cycle supérieur à temps plein, officiellement reconnus.Les «vendeurs de séminaires» sont des prétendus experts qui se font payer pour donner des séminaires vendant une théorie, une méthode ou un traitement, ou appuyant des techniques qui ne se fondent ni sur de vraies méthodes scientifiques, ni sur des recherches publiées, ni sur le mérite. Ils donnent des conférences et de brefs cours, soutenus dans bien des régions par une formation continue obligatoire. Ces cours douteux peuvent être offerts dans des écoles dentaires et des universités reconnues, doù la concurrence, lincitation financière et le faible contrôle de la qualité3.
Le patient non conventionnel
Les raisons de la popularité et de lutilisation accrue de la médecine non conventionnelle (MNC) et de la DNC sont complexes. Il est possible que la MNC et la DNC reflètent lacceptation de la culture «parallèle» contemporaine et populaire, comme les sports et les styles de vie non conventionnels. Cependant, les utilisateurs ne semblent pas avoir de vues parallèles qui rejettent, en principe, les pratiques conventionnelles4. Des études révèlent que les utilisateurs de la MNC sont des individus qui ont un emploi et une bonne éducation, sont des femmes ou des féministes, sont jeunes ou dâge moyen, sont de race blanche et connaissent limportance de lexercice, de lalimentation et de la réduction du stress pour un style de vie holistique et sain. Ils sont aussi des environnementalistes et des gens spirituels, intéressés à la psychologie de croissance personnelle, sans être nécessairement des adeptes du nouvel âge ou des membres des minorités ethniques liées à des pratiques autochtones5,6. Ces individus peuvent être satisfaits, mécontents ou désabusés des traitements conventionnels ainsi que des attitudes et de lentregent des den tistes et des médecins. Les modèles dutilisation de la MNC ont été identifiés (Tableau 1). Les utilisateurs de la DNC ont été mal étudiés, et on croit que leurs caractéristiques se conforment à celles des utilisateurs de la MNC.
Il est difficile dexpliquer pourquoi les gens croient en quelque chose qui nest ni scientifique, ni logique, ni normal. Tous les gens «normaux» et rationnels compris sont susceptibles à la publicité, à la mésinformation et à la commercialisation. Les gens semblent (et veulent) croire en des choses qui les confortent, les rassurent, les gratifient aussitôt et leur expliquent simplement ce qui nest pas simple7. Les patients qui souffrent dune condition délétère rejettent parfois les traitements simples et fondés sur les faits pour des raisons de croyances à la santé8. Il se peut que les revendicateurs et les praticiens de la DNC et de la MNC offrent des méthodes et des explications attrayantes, bien que douteuses et non scientifiques.
Comme le public général manque de formation et de connaissances scientifiques, il doit avoir confiance dans les professionnels de la santé. Malheureusement, certains de ces professionnels ne sont pas dignes de confiance et ébranlent donc celle des patients en médecine et en dentisterie. Aujourdhui, parallèlement aux progrès remarquables de la science médicale et de la dentisterie, on sintéresse de plus en plus aux pratiques non conventionnelles. Il semble que nous vivons à l«âge de la déraison»9. La science ne peut être niée, mais elle peut être ignorée.
Pour certains, les soins non conventionnels peuvent offrir plus dautonomie personnelle et de contrôle sur les décisions de soins de santé. Les personnes qui souffrent de conditions délétères, chroniques ou incurables peuvent être déçues des rapports quelles entretiennent avec un praticien, une profession ou un système de soins de santé. On a révélé récemment que les cancéreux adoptant la MNC souffrent de détresse psychologique et dune qualité de vie détériorée, et que beaucoup des utilisateurs de la MNC disent avoir une meilleure qualité de vie quand ils utilisent à la fois la MNC et la thérapie conventionnelle10. La plupart de ceux qui préfèrent les soins non conventionnels croient en leur efficacité.
Nombreux sont les utilisateurs de la MNC qui disent croire quelle donne espoir et quelle est plus sécuritaire, moins risquée et moins intimidante que les traitements conventionnels. Pour renforcer ces croyances, certains praticiens de la MNC et de la DNC parlent de «bistouri et de poison» quand ils se réfèrent à la chirurgie, à la radiothérapie et à la chimiothérapie.
Inversement, certains traitements de la DNC sont plus invasifs que les traitements dentaires conventionnels (nous en discuterons dans un prochain article). Il se peut que les utilisateurs de la MNC préfèrent les médicaments «naturels» plutôt qu«artificiels», même si les produits pharmaceutiques sont approuvés suivant des preuves de sécurité, defficacité, deffets secondaires connus et de contrôle de fabrication standard. Les utilisateurs de la DNC peuvent croire que certains matériaux dentaires sont systématiquement dangereux ou que les pratiques de la MNC ont trait aux conditions bucco-faciales. Les services de la MNC peuvent être moins coûteux que ceux de la médecine traditionnelle, mais ceux de la DNC risquent de coûter plus cher que la dentisterie conventionnelle (p. ex., remplacement dune restauration à lamalgame par une restauration en or pour traiter ou prévenir une maladie systémique). La compatibilité aux croyances, valeurs et orientations philosophiques des patients vis-à-vis de la santé et de la vie semble le mieux expliquer pourquoi certains recourent à la MNC6 et, par extension, à la DNC. La plupart des utilisateurs de la MNC préfèrent conjuguer les thérapies non conventionnelles à des soins conventionnels plutôt quabandonner ces derniers5.
Les pratiques bucco-dentaires non conventionnelles exercées par des non-dentistes
Une variété de pratiques, de traitements, de produits et de conseils en rapport à la santé bucco-dentaire est fournie par des individus nayant reçu aucune formation dentaire ou médicale et ne répondant à aucune réglementation uniforme, autorisation dexercer ou responsabilité. Le public et les professionnels doivent toujours être sur leur garde. Il semble quil nexiste aucune limite à linventivité et à labsurdité de certaines modalités non conventionnelles, particulièrement en ce qui a trait aux maladies chroniques «susceptibles au charlatanisme», comme les problèmes temporo-mandibulaires (douleur chronique), larthrite et le cancer. Par exemple, on fait la promotion de la «thérapie de lurine»12 à savoir boire sa propre urine («leau de la vie») pour traiter les maux de dents, larthrite, le cancer, la migraine et les maladie mentales11.
La population (les patients et les professionnels confondus) nest en général pas préparée à décerner les faits du mensonge, et le public exige de moins en moins des preuves defficacité et de sécurité dans les promotions des soins de santé. LInternet a permis de promouvoir davantage linformation, erronée ou non13. La société fournit une éducation fautive et inefficace en raisonnement critique, mettant ainsi en péril son avenir. Les consommateurs et les professionnels demandent des normes plus élevées et une meilleure éducation en raisonnement critique.
Remerciements : Lauteur remercie le Dr Joel Epstein pour ses commentaires utiles et sa précieuse contribution à la rédaction de cet article.
Écrire au : Dr Burton H. Goldstein, 208-2223, Broadway O., Vancouver, BC V6K 2E4. Courriel : burtgold@unixg.ubc.ca.
Les vues exprimées sont celles de lauteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de lAssociation dentaire canadienne.
Références
1. Brunette DM. Critical thinking. Understanding and evaluating dental research. Chicago: Quintessence Publishing Co. Inc.; 1996.
2. Quack Watch. Adresse URL: http://www.quackwatch.com
3. Remba Z. Fraud in dentistry. Why cant the profession find a miracle cure to curb dental quackery? AGD Impact 1987; 15:1, 7-9.
4. Zollman C, Vickers A. ABC of complementary medicine. Users and practitioners of complementary medicine. BMJ 1999; 319:836-8.
5. Crone CC, Wise TN. Use of herbal medicines among consultation-liaison populations. A review of current information regarding risks, interactions, and efficacy. Psychosomatics 1998; 39:3-13.
6. Astin JA. Why patients use alternative medicine: results of a national study. JAMA 1998; 279:1548-53.
7. Shermer M. Why people believe weird things. Pseudoscience, superstition, and other confusions of our time. New York: W.H. Freeman & Co.; 1997.
8. Howitt A, Armstrong D. Implementing evidence based medicine in general practice: audit and qualitative study of antithrombotic treatment for atrial fibrillation. BMJ 1999; 318:1324-7.
9. Andersen K. The age of unreason. The New Yorker 1997 Feb 3; LXXII:40-3.
10. Burstein HJ, Gelber S, Guadagnoli E, Weeks JC. Use of alternative medicine by women with early-stage breast cancer. N Engl J Med 1999; 340:1733-9.
11. Johnson G. A sip of urine a day keeps doctor away, some say. Health column, The Georgia Straight 1999 July 15-22; 33(1647):39.
12. Site Web Urinet à ladresse URL : http://utopia.knoware.nl/users/cvdk/urinetherapy/index.html
13. Goldstein BH. La dentisterie non conventionnelle : Partie I. Introduction. J Can Dent Assoc 2000; 66:319-22.
14. Sharma U. Complementary medicine today: practitioners and patients. Rev. ed. London: Routledge; 1995.