Problèmes d’une population vieillissante à l’ère de la technologie

Michael Gordon, MD, FRCP(C) •

Sommaire

Comme la population âgée au Canada et dans le reste des pays développés croît énormément, la demande en soins sociaux et de santé augmentera. Les fournisseurs de services sociaux et de santé doivent élaborer des politiques et des programmes qui permettront aux personnes âgées de mener des vies riches et indépendantes aussi longtemps que possible. Les maladies de la vieillesse perdant de leur mystère grâce à la recherche, les personnes âgées vivront éventuellement plus longtemps et mèneront des vies plus actives et plus enrichissantes. La société, les gouvernements et les fournisseurs de soins aux aînés doivent relever les nouveaux défis de cette population vieillissante avec humanité et respect.

Mots clés MeSH : demography; health services for the aged; quality of life

© J Can Dent Assoc 2000; 66:320-2


La courbe du vieillissement a connu d’énormes changements démographiques depuis le début du XXe siècle, comme la montée de la moyenne d’espérance de vie à la naissance1-4. Le défi que doivent relever toutes les sociétés occidentales est double. D’une part, elles doivent assurer aux aînés présents et futurs des améliorations dans leurs soins et fonction et, d’autre part, contrer la chute de l’engagement sociétal envers les personnes âgées, souvent perçues comme un «fardeau».

Le recensement canadien de 1991 a révélé que les 3 170 000 personnes âgées du Canada correspondent à 11,6 % de la population4. D’ici 2011, on s’attend à ce que ce pourcentage s’élève à 14,6 %, les personnes âgées de plus de 85 ans représentant le segment de la population en croissance la plus rapide.

Les gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que les orga nismes sociaux et de santé se préoccupent de l’«explosion» actuelle de la population âgée, comme le démontre le nombre grandissant de rapports, d’exposés de principe, de revues et d’articles médicaux axés sur les aînés5-8. De même, des programmes médicaux et universitaires en gérontologie et en gériatrie sont mis au point dans tout le pays. Depuis 1981, la gériatrie est une spécialité médicale agréée reconnue par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada9.

Rationnement suivant l’âge

Des restrictions financières ont touché la plupart des pays occidentaux. Ainsi, les coûts de soins de santé ont été la cible de compressions, la logique étant que le vieillissement de la population continuera de faire monter en flèche les coûts qui, s’ils ne sont pas maîtrisés, «ruineront» la société8. Le résultat en a été un mouvement vers le rationnement des soins de santé axé sur la population âgée. Certains croient que, en subvenant aux besoins des aînés, nous privons les jeunes des ressources qui leur reviennent, ce qui susciterait un conflit des générations10,11. Cette affirmation ne diffère pas les coûts et bienfaits à long terme des interventions entre les populations jeune et âgée et suggère que le rationnement suivant l’âge uniquement ou l’âge et d’autres facteurs (comme la baisse d’efficacité clinique chez les personnes âgées et fragiles) est justifié10,11.

Les opposants à ce type de rationnement mettent l’accent sur la faible prévisibilité de l’âge comme indice de bienfait clinique et préviennent du danger d’exclure les aînés de soins éventuellement efficaces12. On craint qu’un tel rationnement ne compromette les valeurs éthiques de la société en permettant de marginaliser les personnes âgées et sans défense. Malheureusement, dans nombre de provinces, les programmes gériatriques appuyés par le gouvernement sont limités. Si la valeur perçue des aînés est amoindrie, il est probable que les gouvernements seront plus enclins à restreindre les services offerts à cette population sans outrager le reste de la société.

Le nombre croissant de personnes âgées lance à nos services de soins de santé d’autres défis. Les soins en salle d’urgence et le placement en établissement de soins prolongés des aînés sont devenus des problèmes récurrents en Amérique du Nord13. Beaucoup de lits pour malades aigus dans les hôpitaux généraux sont occupés par des patients âgés. Certains hôpitaux ont réagi en créant des unités de soins «gériatriques» pour s’occuper des personnes âgées qui nécessitent des soins aigus et «chroniques» ou à long terme14-16. Augmenter et améliorer les normes des installations pour soins chroniques des aînés soulève également un défi17, tout comme établir de nouvelles initiatives qui satisfont aux besoins de cette population et de leur famille18,19.

Espérance et durée de vie

En moyenne, en Amérique du Nord, les personnes âgées de 65 à 69 ans peuvent compter vivre encore environ 15 ans; de 75 à 79 ans, l’espérance de vie atteint presque 10 ans et au-delà de 80 ans, elle est de plus de 6 à 7 ans. Cependant, la qualité de vie est plus importante que l’espérance de vie elle-même. Même si les personnes âgées continuent à vivre plus longtemps, elles dépendront vraisemblablement de services sociaux et médicaux20. Un changement de cette moyenne peut grandement influer sur la qualité de vie et le coût des soins.

Les attitudes de la population en général et de certains professionnels de la santé peuvent nuire à la qualité optimale des soins gériatriques. Par exemple, il est souvent erroné de croire que les personnes âgées deviennent séniles, et perdent leurs aptitudes physiques et intellectuelles. Bien que certaines d’entre elles peuvent contracter des maladies ou devenir affaiblies physiquement ou mentalement, la plupart des personnes âgées peuvent conserver un haut degré d’activité physique et intellectuel jusqu’à un âge des plus avancés1,5-7. Rapporté à des degrés divers, le taux réel de démence chez les aînés semble être plus élevé qu’on ne le croyait chez les plus âgés21. Il est clair que les maladies comme celle d’Alzheimer influent énormément sur le bien-être et la bonne continuation des individus et de leur famille, et lancent un vrai défi aux fournisseurs de soins de santé. Des programmes multidisciplinaires de maintien de la santé qui répondent à des objectifs réalisables pour les aînés doivent être mis en place18,19,22.

Nous commençons à comprendre les composantes biologiques du vieillissement, ce qui pourrait nous permettre de faire la différence entre les changements générés par le vieillissement et ceux engendrés par les maladies qui pourraient être évitées, retardées ou altérées. On s’est beaucoup servi des techniques de culture cellulaire pour démontrer que la durée maximale de vie de chaque créature vivante est biologique23. Pour les êtres humains, cette durée serait de 85 à 90 ans environ, certains vivant même jusqu’à plus de 100 ans24,25.

On s’attarde aussi beaucoup à déterminer si les êtres humains peuvent vivre d’une façon qui diminue ou élimine les facteurs de risque des maladies qui compromettent leur durée de vie. Peut-être qu’avec des soins de santé appropriés et des changements de style de vie, davantage de personnes pourraient retarder le développement de certains problèmes médicaux et ainsi repousser la morbidité et la mortalité à la toute fin de la durée de vie. En théorie, les gens resteraient en santé jusque vers 85 ans, puis contracteraient toutes les maladies d’un coup et mourraient, sans éprouver de troubles cardiaques, respiratoires ou neurologiques chroniques26. Peut-être qu’avec des programmes de maintien de la santé réalistes et bien dirigés, certains de ces objectifs pourraient être atteints27.

Toute une multitude d’articles et de livres suggère que des soins appropriés (bonne alimentation, activités physiques, style de vie éliminant les facteurs de risque, etc.) pourraient éventuellement allonger l’espérance de vie jusqu’à 120 ou 130 ans, voire plus. Beaucoup de médecins et de scientifiques ne prennent pas ces implications au sérieux et critiquent la faible teneur scientifique de beaucoup des recommandations. Des articles objectifs sur l’utilisation et l’abus des vitamines s’imposent pour aider les médecins à renvoyer leurs patients vers des programmes de nutrition raisonnables et sécuritaires28.

Malgré que la plupart des professionnels de la santé se montrent prudents, beaucoup d’individus — à des coûts personnel et financier élevés — essaient de suivre quelques-unes de ces recommandations pour vivre plus longtemps. Même si des facteurs de risque peuvent être modifiés pour améliorer la qualité et l’espérance de vie, on doit analyser les données soigneusement avant de changer ses habitudes alimentaires ou son style de vie radicalement.

Soins aux personnes âgées

Ceux qui s’occupent des personnes âgées doivent être soucieux et conscients des indications et dangers des médicaments. Il existe de nombreux produits pharmaceutiques remarquables et puissants qui, souvent, peuvent avoir des effets secondaires graves. Les fournisseurs de soins de santé doivent contrôler l’utilisation de tous les médicaments, y compris prescrits et brevetés, régulièrement et attentivement29,30.

Ce qui préoccupe aussi dans la prestation des soins gériatriques est la question des soins en établissement — qui en a besoin, qui en profitera et qui paiera?31,32 Au Canada et encore plus aux États-Unis, nous avons un système en mosaïque dans lequel certaines personnes sont parfois malencontreusement placées dans des établissements de soins prolongés où elles risquent de recevoir des soins inappropriés ou de pauvre qualité. On évalue actuellement des programmes communautaires de soins gériatriques, destinés à laisser les gens chez eux avec leur famille aussi longtemps que possible, en leur offrant des services professionnels et de ménage18,19.

Les fournisseurs de soins aux aînés doivent faire preuve autant de bienveillance et de réceptivité que de compétences professionnelles ou d’accomplissement universitaire. Nous devons apprendre à communiquer avec nos patients âgés avec respect et patience, et être disposés à le faire. Nous ne devons pas craindre de toucher physiquement nos patients, le cas échéant. Beaucoup de personnes âgées pensent qu’ils ne méritent plus d’attention ou d’affection physique. Montrer que nous nous soucions d’eux peut contribuer à un sentiment de confort, de respect et de confiance mutuel.

La question essentielle que nous devons nous poser est de savoir si le manque d’engagement envers la population âgée nuit aux principes sur lesquels s’appuie la société. Aborder la question des soins essentiellement — sinon exclusivement — comme un problème économique finira par compromettre nos valeurs sociales. Nous sommes tous en train de devenir des «personnes âgées». Si nous ne comprenons pas que la façon avec laquelle nous les traitons se reflète sur nos valeurs et celles que nous inculquons à nos enfants, nous finirons tous par souffrir.

Conclusion

Les personnes âgées représentent le segment de la population en croissance la plus rapide. La société en général, les législateurs, les fournisseurs de soins de santé et les particuliers doivent prévoir ce qu’il faut pour que les personnes entrant l’âge d’or s’attendent à quelque chose de positif, de sécuritaire et d’enrichissant.

Grâce aux progrès remarquables de la science médicale, le XXIe siècle promet beaucoup pour les aînés. Si, toutefois, les fondements et principes ne s’appuient pas sur un système impliqué qui valorise les aînés — même frêles et handicapés — comme composantes intégrales et vitales de la société, nous aurons sacrifié les principes d’une société qui respecte vraiment et prend soin équitablement de tous ses membres.

Arnold Toynbee a écrit : «La durée de vie de toute civilisation peut se mesurer par le respect et l’importance qu’accorde la société à ses aînés. Les sociétés qui traitent leurs aînés avec mépris sèment les graines de leur propre destruction.» Espérons que la société canadienne réagira positivement et avec créativité au défi que pose sa population vieillissante.


Le Dr Gordon est vice-président des services médicaux et directeur de la Division de gériatrie et de médecine interne au Centre Baycrest pour les soins gériatriques. Il est également professeur de médecine à l’Université de Toronto.

Écrire au : Dr Michael Gordon, Centre Baycrest pour les soins gériatriques, 3560, rue Bathurst, North York, ON M6A 2E1

Cet article s’inspire d’une présentation donnée lors du premier colloque annuel sur la dentisterie gériatrique, intitulé «Considerations for the Future» (Réflexions sur l’avenir), au Centre Baycrest à Toronto (Ontario), en octobre 1998.

Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.


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