Accepter le besoin de «surprotection» dans le contrôle des infections

• Trey Petty, DDS •

© J Can Dent Assoc 2000; 66:186-7


C’est avec perplexité et accoutumance que j’ai lu les lettres au rédacteur en chef et les autres articles récents du Dr John Hardie dans le Journal ainsi que les opinions de revendicateurs nationaux, provinciaux et locaux qui essaient de minimiser le besoin d’un contrôle strict des infections en dentisterie. Cela me rappelle les conversations périodiques et frustrantes que j’ai avec une amie d’enfance. Diplômée universitaire et mère de quatre enfants, elle est convaincue que les immunisations standard sont dangereuses, que le fluorure présent dans l’eau cause le cancer, que le sida est une expérience scientifique manquée du gouvernement, que l’armée cache la vérité sur les OVNI et une variété d’autres tirades anti-science que l’on retrouve fréquemment dans les groupes de discussion alt.folklore.urban et autres sites odieux de l’Internet.

Le fait que des individus ont des idées à promouvoir et s’attirent d’une manière ou d’une autre une tribune ne prouve pas, en soi, qu’il y a controverse. En matière de contrôle des infections, cela ne fait qu’environ 15 ans que la dentisterie s’est finalement rendue là où le reste des sciences de la santé du monde industrialisé sont depuis près d’un siècle. L’idée que des concepts aussi simples que les procédures d’aseptisation (c.-à-d. les précautions universelles) sont remis en question par des collègues influents est une honte à la dentisterie en général et ne se produirait certainement pas dans d’autres milieux de la santé.

Il est vrai qu’exercer la dentisterie conformément aux mesures de contrôle des infections de l’ADC, de l’ODQ, du CRCD, de l’ADA, des CDC, de l’OSAP, de l’OSHA ou quelqu’autre acronyme auquel nous souscrivons ce mois-ci a définitivement compliqué notre vie professionnelle. Toutefois, la réalité moderne veut que la communauté des professionnels de la santé n’a pas besoin d’un nouvel élan pour prouver que la dentisterie devrait faire aujourd’hui ce qu’elle aurait dû commencer il y a des décennies, quand on a découvert que l’hépatite B était causée par un virus sécrété dans le sang et la salive.

Je me lasse d’entendre poser la question «Où est la science derrière tout ça?», quand on parle du contrôle des infections en dentisterie. Eh bien, «ils» peuvent montrer leur liste de références, et je peux montrer la mienne. En voici d’ailleurs un bref échantillon :

Nous SAVONS que beaucoup de virus ne sont pas aussi faciles à inactiver qu’on ne le pensait1.

Nous SAVONS que les cellules sanguines et les particules virales et bactériennes peuvent survivre dans nos pièces à main même après désinfection complète2.

Nous SAVONS que les pièces à main «injectent» des matériaux dans les tissus3.

Nous SAVONS que nos conduites d’eau des unités dentaires et notre système d’évacuation sont extrêmement contaminés4.

Nous SAVONS que les patients peuvent facilement réaspirer les bactéries par la pompe à salive5.

Nous SAVONS que la contamination croisée des films radiographiques peut survenir dans la machine de traitement6.

Nous SAVONS que les brosses à dents et les prothèses peuvent transmettre des maladies7.

Nous SAVONS qu’aucun système de déclaration des maladies n’existe qui détecte une infection croisée généralisée à faible fréquence8.

Nous SAVONS que les patients infectieux nous mentent au sujet de leur infection9.

Quels autres faits nous faudrait-il pour justifier la nécessité de mesures anti-infectieuses strictes en dentisterie (précautions universelles et standard comprises)? Même si un fait n’est pas une preuve irrévocable, il est certainement à la base de la plupart des décisions cliniques et scientifiques que nous prenons chaque jour.

Quel genre d’expérimentation scientifique nous faudra-t-il concevoir pour convaincre ceux qui attendent toujours une «preuve scientifique»; ceux qui dénigrent le manque de «faits scientifiques»? Les chercheurs devront : premièrement, identifier un virus radio-isotope (ce qui est aujourd’hui techniquement impossible); deuxièmement, infecter quelqu’un avec ce virus théoriquement identifié (ce qui ne serait jamais accepté par un comité de déontologie); troisièmement, exécuter une procédure dentaire sur le patient puis, sans bien stériliser tout l’équipement et les instruments entre les procédures, effectuer une autre procédure dentaire sur un autre patient en utilisant le même équipement (une fois encore, problèmes du côté du comité de déontologie) pour détecter le même virus théoriquement identifié. Eh bien, mieux vaudrait-il qu’ils arrêtent d’attendre : de telles expérimentations ne se produiront jamais.

Alors que nous devrons toujours nous efforcer d’appliquer des mesures de contrôle des infections fondées sur les faits, la réalité est que les faits risquent de ne pas toujours être aussi solides qu’on le voudrait. Une des plus grandes lacunes dans notre connaissance sur le contrôle des infections est de connaître le risque de contracter une maladie infectieuse dans une situation donnée. Si ce risque pouvait être connu, il pourrait aider à justifier l’importance, sinon le besoin, d’une procédure particulière de contrôle des infections.

Par là, il nous faut tenir compte de deux aspects : le risque de contamination croisée (le transfert de microbes d’une personne à une autre) et le risque d’infection croisée (l’incidence réelle de l’infection après contamination croisée).

S’il y a infection croisée, alors on sait que la contamination croisée s’est produite. De même, s’il y a contamination croisée, il y a des chances que l’infection croisée se produise. Nous aimerions tous nous fonder sur l’incidence d’une infection croisée pour utiliser une mesure anti-infectieuse donnée. Par exemple, le fait que l’infection croisée des maladies à diffusion hématogène soit liée aux blessures cutanées (avec objets tranchants) fournit une base solide et inébranlable à l’utilisation de mesures anti-infectieuses qui préviennent ce genre de blessures chez les travail leurs de la santé.

Malheureusement, les faits ne sont pas aussi probants pour appuyer toutes les recommandations sur le contrôle des infections. Nous devons, en effet, nous reposer sur les données de la contamination croisée qui, au moins, établissent un certain degré de risque d’infection croisée. Par exemple, bien qu’en dentisterie on dispose de moins d’information sur l’infection croisée dans le cas de l’absence de gants, de l’utilisation des aérosols dentaires, de la contamination de l’eau des unités dentaires ou des surfaces des salles opératoires, il est clair que tous ces faits peuvent impliquer la contamination croisée et, de fait, un risque d’infection croisée.

Puisque nous ne pouvons ni prédire ni mesurer toutes les situations qui causeront une contamination croisée puis une infection croisée, un certain degré de surprotection est incorporé aux recommandations anti-infectieuses actuelles pour que les patients et les travailleurs de la santé soient protégés du mieux possible. En pratiquant le contrôle des infections pour réduire la contamination croisée, on permet au corps de mieux combattre les agents infectieux.

Bref, nous ne savons pas toujours quand nous risquons d’être exposés à des microbes potentiellement virulents. Nous ne connaissons jamais la composition exacte d’une source de microbes impliquée dans la contamination d’une surface, de l’eau ou de l’air des unités dentaires, de la salive, du sang ou de la peau. Nous ne savons pas quand les microbes sont plus à même de pénétrer le corps par des blessures non identifiées dans la peau ou les muqueuses. Nous ne savons pas quand notre résistance à un microbe donné peut être affaiblie.

Toutes ces incertitudes tendent à promouvoir un certain degré de «surprotection» à toutes les étapes du contrôle des infections. La science absolue n’est peut-être pas là, mais la sécurité de nos patients repose entre nos mains. Il nous faut pécher par excès de prudence. La meilleure défense est une bonne attaque; nous avons besoin de cet excès de sécurité. Je préférerais qu’il en soit ainsi plutôt que, pour économiser quelques sous ou ne pas paraître idiot ou craintif, découvrir plus tard qu’on ne s’était pas suffisamment protégé.

Comme toujours, l’expression latine primum non nocere s’applique ici : notre préoccupation première devrait être celle de ne faire aucun mal. Certains peuvent parler de surprotection; moi, je parle de sécurité. Notre approche de se protéger à l’excès en l’absence de science corroborative est le mieux résumée par ce que mon grand-père me disait toujours : «Prudence est mère de sûreté.»


Le Dr Petty est directeur de la dentisterie et de la médecine buccale au Centre médical Foothills et directeur de la médecine et chirurgie buccales au Centre du cancer Tom Baker à Calgary (Alb.). Il est ancien président du Comité de la dentisterie communautaire et institutionnelle de l’ADC et l’auteur du Manuel sur le contrôle des infections de l’ADC.

Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.


Références

1. Sattar SA, Springthorpe VS. Survival and disinfectant inactivation of the human immunodeficiency virus: a critical review. Rev Infect Disease 1991; 13:430-47.

2. Lewis DL, Arens M, Appleton SS, Nakashima K, Ryu J, Boe RK, and others. Cross-contamination potential with dental equipment. Lancet 1992; 340:1252-54.

3. Lewis DL. Infection control in dental handpieces. Am Soc Microbiol 1991; 57:393.

4. Williams JF, Johnston AM, Johnson B, Hutington MK, Mackenzie CD. Microbial contamination of dental unit waterlines: prevalence, intensity and microbiological characteristics. JADA 1993; 124:59-65.

5. Watson CM, Whitehouse RL. Possibility of cross-contamination between dental patients by means of the saliva ejector. JADA 1993; 124:4:77-80.

6. Stanczyk DA, Paunovich ED, Broome JC, Fatone MA. Microbiologic contamination during dental radiographic film processing. Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1993; 76:112-9.

7. Glass RT. The infected toothbrush, the infected denture, and transmission of disease: a review. Compendium 1992; 13:592, 594, 596-8.

8. Dunn OJ. Basic statistics: a primer for the biomedical sciences, 2nd ed. Toronto:Wiley, 1977. p. 4-7.

9. Perry SW, Moffat M Jr, Card CA, Fishman B, Azima-Heller R, Jacobsberg LB. Self-disclosure of HIV infection to dentists and physicians [published erratum appears in JADA 1993; 124:201]. JADA 1993; 124:9:51-4.


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