Ken Glick, DDS
© J Can Dent Assoc 2000; 66:88-9
J
ai lu la thèse du Dr Mulcahy avec intérêt. Malgré son titre, lénoncé ne répond pas vraiment à la question de savoir si la dentisterie esthétique constitue des soins de santé. Il semble plutôt que le Dr Mulcahy a trois grandes préoccupations au sujet de lorientation que prend aujourdhui la dentisterie : (1) qu«on insiste davantage sur limportance de lesthétisme»; (2) que «la pratique générale risque de se trouver à deux doigts dun processus de fragmentation si la dentisterie esthétique venait à ... se faire reconnaître comme une spécialité»; (3) quon a acquis «une attitude commerciale agressive et exagérée ... parallèlement à la popularisation de la dentisterie esthétique».Alors que lénoncé du Dr Mulcahy ne manque pas de généralisations, il présente guère dexemples spécifiques qui peuvent être résolus sans détour. Néanmoins, jaimerais profiter de cette occasion pour répondre à ses préoccupations.
Le Dr Mulcahy lui-même affirme que «lapparence idéale a toujours fait partie intégrante de la dentisterie restauratrice.» Autrement dit, historiquement, un des critères du succès de la dentisterie restauratrice a été de réussir à produire une parfaite apparence des dents restaurées. Pourtant, dans le passé, les caractéristiques physiques des matériaux disponibles et les techniques qui leur étaient inhérentes imposaient des contraintes.
Lavènement de la dentisterie adhésive a permis au praticien de se rapprocher de lapparence idéale tout en pratiquant un style de dentisterie plus conservateur. On pourrait se demander quels sont les traitements les plus éthiques et les plus axés sur la santé : (1) Un amalgame traditionnel G V Black avec extension pour la prévention et forme de rétention ou une résine composite liée qui demande denlever seulement le tissu carieux? (2) Une couronne antérieure complète sur une dent dont 40 à 50 % de la structure est endommagée ou une facette en porcelaine liée? Par dentisterie esthétique, on entend la dentisterie conservatrice et par dentisterie conservatrice, on entend les soins de santé.
Je nessaie pas dêtre rusé en qualifiant les services qui précèdent desthétiques. Ils relèvent de lesthétisme si cest la philosophie de pratique du dentiste. Je suis toutefois certain que les préoccupations du Dr Mulcahy se rapportent à léthique de la transformation esthétique qui implique de multiples restaurations, couronnes ou facettes.
Malheureusement, le Dr Mulcahy présume le pire de ceux qui pratiquent la dentisterie esthétique : laffirmation «... le dentiste a prodigué ce quil croyait le plus approprié» insinue que le patient se voit imposer un traitement inapproprié. Or, juste quelques lignes plus loin, il annonce «Les dentistes ont lobligation ferme doffrir, dans le meilleur intérêt du patient, le traitement le plus approprié.» Je me demande qui décide ce quest le meilleur intérêt du patient le dentiste ou le patient? Supposer que le dentiste doit imposer un plan de traitement au patient revient à supposer que le patient est «naïf», comme dit le Dr Mulcahy. Je ne suis pas du tout daccord.
Le patient daujourdhui est plus que jamais très informé et conscient de ses besoins et de ses désirs. Beaucoup viennent me voir dans mon cabinet après avoir effectué des recherches approfondies sur les choix qui soffrent à eux et sont très informés des orientations possibles que peut prendre leur traitement. Celui qui pratique la dentisterie esthétique avec éthique tout comme celui qui pratique la dentisterie restauratrice avec éthique , écoute et comprend les préoccupations de ses patients, analyse leurs antécédents médico-dentaires et effectue un examen complet. Après en être arrivé à un diagnostique, il offre un plan de traitement. Dans la plupart des cas, il discute des modalités de traitement possibles avec le patient, ainsi que de leurs avantages et inconvénients. Alors, et alors seulement, après avoir été guidé et conseillé par un professionnel, le patient prend la décision finale. Lépoque de la pratique médicale ou dentaire paternaliste est révolue.
Quant à insister «davantage sur limportance de lesthétisme», il suffit de se pencher sur les médias pour comprendre doù vient cette insistance. Même si on sy objecte, lapparence, même à la hauteur des «normes ... de Hollywood», est une grande motivation pour le public nos patients. On devrait également noter quaucun praticien éthique neffectuerait de procédures esthétiques majeures sans que toute maladie biologique sous-jacente nait été traitée en premier. En réalité, et ce dun point de vue positif, le désir daméliorer son apparence pourrait motiver les gens à se faire soigner les dents et, ainsi, à se faire traiter toute maladie biologique dentaire existante. Après tout, nest-ce pas le désir davoir des dents bien droites et bien alignées qui pousse la plupart des patients à se faire traiter par un orthodontiste? Un autre avantage est que le dentiste peut redresser les dents au profit non seulement dune occlusion saine, mais aussi de la prévention de la maladie.
La dentisterie esthétique devrait-elle être reconnue comme une spécialité? Cela pourrait-il créer «un processus de fragmentation»? À mon avis, non. Je suis toutefois davis que léthique professionnelle impose à quiconque exerce la dentisterie esthétique de faire preuve dexpertise dans ses méthodes et techniques. Malheureusement, peu de facultés de médecine dentaire se penchent sur ses questions dans leurs programmes de premier cycle. Nombreux sont les nouveaux diplômés qui ont à peine suivi de formation supérieure dans le domaine, et pourtant ils croient que leur diplôme les autorise à se qualifier dexperts en dentisterie esthétique. Comme pour tout autre domaine de spécialité (p. ex., lorthodontie, la parodontie ou lendodontie), il devrait y avoir une norme de pratique quelconque à laquelle devraient se conformer les praticiens offrant un tel service. Cest de la pratique sans restrictions que survient «la standardisation de la dentisterie esthétique», et cest à la mesure des exigences individuelles du patient quun dentiste y étant proprement formé devrait traiter.
Même sil y avait spécialisation, y aurait-il fragmentation? Je ne pense pas.
Plusieurs domaines de la pratique dentaire sont devenus spécialités. Le rôle du praticien généraliste est devenu celui de défenseur et de contrôleur du processus thérapeutique. Il traite au niveau qui lui a été enseigné et où il a compétence. Il renvoie à un spécialiste quand le niveau de soin requis dépasse son expertise. Pourquoi en serait-il autrement si la dentisterie esthétique venait à devenir spécialité?
Enfin, pour ce qui est de l«attitude commerciale agressive et exagérée» qui, selon le Dr Mulcahy, sest développée parallèlement à la popularisation de la dentisterie esthétique, nous avons en effet assisté à une sensibilisation accrue aux aspects commerciaux de la médecine dentaire. Or, à mon avis, celle-ci sest produite parallèlement à la montée de la dentisterie esthétique; ce nest là quune coïncidence. On la doit autant à «la surabondance de dentistes qui engorge certaines régions du pays», comme dit le Dr Mulcahy, quà lomniprésence des compagnies dassurance dentaire qui essaient dimposer leurs besoins financiers à nos patients et nous-mêmes en limitant leur politique et en établissant dautres systèmes de soins.
Le fait est que la dentisterie est à la fois une profession respectée et un commerce. Notre professionnalisme nous impose des normes déontologiques élevées alors que notre commerce nous impose des critères de gestion. Ces techniques de gestion ne sont que brièvement abordées dans les programmes de premier cycle des facultés de médecine dentaire.
Lépoque où les cabinets pouvaient être mal gérés et continuer à rapporter un bon revenu (oserais-je dire, profit) est révolue. Aujourdhui, la hausse des coûts (personnel, loyer, matériaux, équipement et technologie) exige que tous les praticiens analysent leur cabinet pour établir leurs honoraires en fonction de leurs propres besoins. En faisant cette analyse, beaucoup se rendent compte que leurs honoraires sont dun irréalisme déplorable. Lattitude que jai vu adopter par la plupart des conférenciers, américains ou non, a été celle de ne pas avoir peur daugmenter ses honoraires si les données commandaient de le faire. Est-il plus éthique doffrir un service et de perdre de largent que doffrir un service de haute qualité et de faire profit? Je ne pense pas. Cest ce quon appelle la dentisterie de rémunération à lacte.
Personnellement, je nai jamais entendu revendiquer la hausse des honoraires par comparaison aux salaires des vedettes sportives. Ce que jai entendu dire par contre est ce qui précède : analysez vos coûts par rapport à vos attentes réalistes de revenu, tenez compte des facteurs comme le temps, les compétences et les connaissances spécialisées nécessaires pour offrir un service, et établissez des honoraires appropriés. Cela est, si je comprends bien, ce que nos associations dentaires provinciales nous disent depuis des années.
En conclusion, il me semble que les préoccupations du Dr Mulcahy convergent sur des questions éthiques : léthique de surtraitement et de surtarification. Ces préoccupations sappliquent à tous les aspects de la dentisterie et pas seulement à la dentisterie esthétique. Pour y remédier, il faut veiller à ce que léthique continue à être fortement inculquée dans les facultés.
Puisque le temps et lespace me manquent, je conclurai en espérant que la thèse du Dr Mulcahy et ma réponse continueront à être débattues dans les coulisses de notre profession.
Le Dr Glick est lancien président de lAcadémie américaine de dentisterie esthétique et le président fondateur de lAcadémie de dentisterie esthétique de Toronto.
Les vues exprimées sont celles de lauteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de lAssociation dentaire canadienne.