Mary McNally, M.Sc.,DDS
Jocelyn Downie, MA, Mlitt., LLM, SJD
© J Can Dent Assoc 2000; 66:592-3
D
ans un feuillet dinformation adressé récemment aux membres de lADC et intitué «Le fluorure et la dentisterie», on a soulevé la question suivante : «Si le fluorure provient de plusieurs sources et que la prévalence de la fluorose dentaire chez les enfants augmente, pourquoi lADC continue- t-elle dappuyer la fluoruration de leau?»1 Dans le présent article, nous examinons brièvement la question du point de vue éthique.Lanalyse et la réflexion éthiques sont maintenant attendues du processus décisionnel de tous les professionnels de la santé. Léthique est la branche de la philosophie qui explore la prise de décision et la conduite empreintes de valeurs. La politique et la pratique équitables et respectueuses dans le domaine de la santé demandent quon comprenne les valeurs qui sous-tendent nos choix. Les décisions prises en pratique clinique et en politique de la santé publique devraient refléter les valeurs et les croyances des décideurs et de la société dans son ensemble. Pour élaborer des politiques respectueuses de léthique dans le domaine de la santé, il faut soupeser le pour et le contre de toutes les options. Évaluer la validité éthique de la politique de lADC sur la fluoruration de leau demande donc de prendre en considération les bienfaits et les dommages de la fluoruration de leau.
Bienfaits et dommages physiques
La fluoruration de leau est connue comme étant lune des meilleures mesures de santé publique et de prévention de la maladie qui soit. Son plus grand bienfait jamais documenté est que, en réduisant la carie, la structure de la dent est préservée et que beaucoup de douleurs, dinfections, de pertes de dents et de traitements restaurateurs sont évités. La fluoruration de leau protège tout le monde; elle est facile daccès, sécuritaire, équitable et rentable2.Cependant, on sest inquiété des dommages que la fluoruration pourrait causer. Il est possible que celle-ci augmente la prévalence de la fluorose; cest pourquoi, certains décident de ne pas lappuyer. On a aussi suggéré que le fluorure pollue lenvironnement et contribue au syndrome des «chimosensibilités multiples»; or, ces observations sont largement anecdotiques et sont mal documentées dans la littérature scientifique.
En nous basant sur les faits actuels, nous pouvons conclure que les bienfaits physiques de la fluoruration lemportent sur les dommages. Cependant, nous croyons aussi quune attention particulière devrait être accordée aux dommages éventuels et que des recherches devraient être appuyées pour déterminer leffet de la fluoruration sur la fluorose, les répercussions sur la santé de la fluorose, limpact de la fluoruration sur lenvironnement et linfluence de la fluoruration sur le syndrome des chimosensibi lités multiples.
Bienfaits et dommages économiques
Il existe des bienfaits économiques considérables associés à la fluoruration de leau. En réduisant la carie, celle-ci minimise le besoin de recourir à des traitements de restauration dentaires et a donc un impact énorme sur les coûts dutilisation des services dentaires pendant une vie. Il sagit dun avantage particulièrement important pour les Canadiens puisque la plupart des services de soins bucco-dentaires ne sont pas compris dans les programmes de santé publics. Les caries dentaires peuvent causer des infections graves parfois mortelles qui demandent des soins hospitaliers et médicaux dispendieux. La fluoruration réduit ces coûts ainsi que ceux des provinces dont le système de santé public comprend les soins dentaires pour les enfants, les aînés et les démunis.
On sest préoccupé des dommages économiques de la fluorose et on a affirmé que les bienfaits économiques de la fluoruration pourraient être surestimés la fluorose pouvant nécessiter des traitements de restauration dentaires. Nous concluons que, sans autre preuve dacceptabilité et de complications restauratrices de la fluorose, largument économique appuyant la fluoruration est plus solide que celui qui la rejette. Toutefois, pour résoudre lincertitude qui entoure les bienfaits et les dommages économiques, des recherches devraient être appuyées pour comparer les répercussions économiques de la fluoruration et de la fluorose.
Liberté de choix
On pourrait prétendre que restreindre le choix de source publique deau potable est moralement injuste car cela revient à enfreindre le principe du respect de lautonomie de la personne en lempêchant de choisir librement de ne pas consommer du fluorure. On pourrait aussi prétendre que cette infraction à lautonomie est injustifiable étant donné que les bienfaits du fluorure peuvent être obtenus dautres façons (c.-à-d. ceux qui souhaitent consommer du fluorure peuvent compter sur dautres sources comme les suppléments, les rince-bouches et les applications de fluorure par les professionnels).
Cependant, restreindre ce choix pour la population entière peut être justifié du fait que cela profite aux populations vulnérables. Les sources de fluorure disponibles dans le commerce et les traitements dentaires professionnels sont dispendieux. Tout le monde ne peut pas se les offrir. Par contre, quels que soient le niveau déducation, le statut socio-économique, lâge, la race et laccès aux soins dentaires professionnels, tout le monde peut bénéficier du fluorure contenu dans leau potable. Quand les eaux municipales sont fluorurées, le fluorure nest plus un produit de consommation facultatif offert seulement aux personnes qui connaissent ses bienfaits, peuvent se loffrir ou y ont accès. Quand la politique publique appuie la fluoruration des eaux municipales, ce sont les membres les plus vulnérables de notre société qui en profitent le plus.
Les arguments individualistes libéraux contre la prise de médicaments involontaire des populations semblent à première vue attrayants. Pourtant, la société canadienne a établi un ensemble de valeurs qui permet parfois de transgresser les droits de la personne. Par exemple, les vaccinations obligatoires, la vitaminisation des aliments et le dépistage de certaines maladies génétiques à la naissance sont des mesures de santé publique acceptées même si elles peuvent constituer une infraction aux droits de la personne. Bien que nous soyons une société empreinte des droits de la personne, les Canadiens acceptent que certaines politiques publiques servent le bien commun avant les désirs de certains individus. La fluoruration de leau entre dans ce cadre philosophique.
Conclusion
Pour les Canadiens, améliorer la santé bucco-dentaire en réduisant la carie est une bonne chose. Lavantage économique pour la société comme pour lindividu est appréciable, et la protection des populations vulnérables est appréciée. Cest sur ces faits que nous encourageons lADC à continuer de soutenir la fluoruration de leau.
Pour terminer, nous voudrions encourager les membres de lADC à poser une question importante mais souvent ignorée : Dans les débats sur la fluoruration, entendez-vous les voix des populations vulnérables? Autrement dit, quand des débats politiques émergent entre les décideurs, les groupes intéressés et les professionnels de la santé bucco-dentaire, les groupes les plus vulnérables font-ils partie des discussions? Les éthiciens du domaine de la santé daujourdhui sinquiètent fortement des politiques de la santé établies sans que les intérêts et les désirs des membres de la société qui nont pas de voix soient représentés. Quand des décisions sont prises sur la politique de santé publique, les membres de la société qui seraient désavantagés par manque déducation, de ressources et daccès à des soins de santé appropriés doivent être consultés. Or, en matière de fluoruration des eaux, ce nest pas clair que ce soit fait. Les membres de lADC devraient veiller à sadresser aux désavantagés avant de prendre une position finale sur la fluoruration.
Le Dr McNally est professeure adjointe, Département des sciences cliniques dentaires, Faculté de médecine dentaire, Université Dalhousie, Halifax (N.-É.). Elle est membre du Comité de déontologie de lADC. Le présent article a été soumis à lADC en réponse à la demande de revoir léthique de la fluoruration de leau.
Le Dr Downie est professeure adjointe aux facultés de droit et de médecine et directrice de lInstitut de droit de la santé, Université Dalhousie.
Références
1. Feuillet dinformation à lintention des membres de lADC : Le fluorure et la dentisterie. Octobre 1999.
2. Horowitz HS. The effectiveness of community water fluoridation in the United States. J Public Health Dent 1996; 56(5 Spec No):253-8.