Linda Tabakman
© J Can Dent Assoc 1999; 65:618-9
Imaginez un cabinet dentaire où les parents parlent avec enthousiasme des soins que leurs enfants reçoivent. Imaginez-vous, vous et votre personnel, fréquemment gratifiés et appréciés. Imaginez les visages radieux de jeunes enfants qui quittent votre cabinet, gonflés dassurance. Ce que vous voyez, cest le pouvoir de la confiance.
Il y a trois ans, jai déménagé dans une région rurale pour diriger un nouveau cabinet dentaire. Je croyais être prête à relever les nouveaux défis qui mattendaient : javais déjà organisé et dirigé des cabinets dans les secteurs privé, politique et de bienfaisance, parfois surveillant jusquà 20 employés.
Malheureusement, je perdais bientôt confiance en moi.
Certains de nos patients voyageaient plus dune heure pour profiter de la dentisterie
moderne, la moitié demandant des services durgence. La peur se voyait sur le visage
de nombreux patients qui dailleurs disaient ouvertement craindre leur visite.
Mon plus grand défi était le sentiment dimpuissance que je sentais quand des enfants entraient dans le cabinet. En tant que mère de cinq enfants et grand-mère de quatre autres, je trouvais difficile de les regarder lutter contre la simple idée de voir un dentiste. Comme la dentisterie était inconnue pour beaucoup dentre eux, les seules choses avec lesquelles ils pouvaient sidentifier étaient les histoires dhorreur ou les peurs cachées de leurs parents qui, eux-mêmes, craignaient dexposer leurs enfants à ce quils croyaient pouvoir être traumatisant-une réaction naturelle si on tient compte de lexpérience quils ont eu étant enfants.
Un jour, un jeune enfant terrifié de 10 ans et ses parents vinrent à notre cabinet. Deux des dents de lenfant avaient un abcès et devaient être enlevées immédiatement. Malheureusement, ce nétait pas la première fois que Mark avait mal aux dents, et cela ne faisait quaggraver sa peur.
Ses sons de désespoir et ses gémissements mattirèrent jusquà la salle opératoire. Je massis à ses côtés et caressai ses mains. Il me semblait que sil pouvait participer à la prise de décisions, il ne se sentirait pas aussi impuissant. Jai commencé par lui montrer la photo de ses dents. Il put alors mieux comprendre pourquoi il avait si mal. Je lui fis savoir que jétais vraiment désolée quil avait tant souffert depuis deux jours et que je voulais arrêter la douleur. Je lui dis que cétait ses dents et sa douleur, et quil pouvait décider de partir et de venir une autre fois ou bien de régler le problème aujourdhui. Je lui expliquai quil devait choisir sil préférait avoir très peur une fois seulement ou rentrer chez lui et avoir vraiment peur deux fois. Il me regarda et dit quil préférait avoir peur une seule fois.
Je le félicitai davoir pris une décision aussi difficile et lui dis que jaurais pris la même décision, ce qui sembla le réconforter un peu. De toute évidence, il se détendit. Encouragée par sa réaction, je lui expliquai que je connaissais un petit truc qui pouvait lui rendre cette expérience plus plaisante. Sil voulait, je pouvais rester et lui montrer exactement quoi faire. Jai gagné son attention pour sûr!
Gentiment, je lui ai expliqué que quand on respire profondément, on inspire un rayon de lumière chaud et sécuritaire du dessus de la tête. Alors quon expire doucement, on permet à cette lumière de pénétrer tout notre corps, relaxant ainsi les muscles. Chaque fois quil respirait, son corps se gonflait de courage et rejetait la peur. On sentraîna pendant quelques minutes. Alors quil commençait à ressentir leffet de détente que cette technique lui offrait, je lui expliquai quen respirant ainsi beaucoup de gens contrôlaient le degré de douleur quils ressentaient.
Bien que le dentiste nétait pas habitué à avoir dautres personnes que lui en salle opératoire, il accepta toute suggestion qui pouvait aider Mark à surmonter cette procédure difficile. Mark et moi continuèrent notre technique de relaxation. Ma voix était douce et réconfortante. Parfois, il me regardait, et je lui faisais un clin doeil pendant que je continuais de lui caresser la main. Je remarquai que ses paupières commençaient à ciller alors quil entrait dans un état de profonde détente. Il ne bougea pas lors des injections, et les extractions se terminèrent sans heurts. Une fois la procédure finie, il était radieux. La première chose quil me dit fut : «Cétait la meilleure extraction que jai jamais eue.» Sa mère était inondée de joie. Mark et toute sa famille viennent maintenant régulièrement à notre clinique.
Je suis profondément reconnaissante de pouvoir travailler avec un dentiste qui est ouvert aux idées nouvelles et qui ma encouragé à essayer de nouvelles techniques. Puisquil semble que lanxiété soit grandement atténuée quand les enfants deviennent directement impliqués, je commence par faire connaissance avec eux dès leur arrivée au cabinet et discute avec eux dans la salle dattente. Je leur demande, à eux et à leurs parents, sils sont nerveux à lidée de voir un nouveau dentiste. Si je sais que cest leur première visite chez le dentiste, je reconnais que ce quils ressentent est probablement étrange. Tous deux, parents et enfants, apprécient dêtre réconfortés.
Un jour, une mère mexpliquait que son fils, Jeffrey, ne parlerait que par son intermédiaire. Il était très timide et mal à laise avec les inconnus qui lui parlaient. Il sassit sur ses genoux, son visage enfoui dans sa veste. Jeffrey à lécoute, je dis à la mère que nous considérions les enfants comme étant très spéciaux et que nous respections toujours leurs souhaits. Le personnel fut averti du cas de Jeffrey et adressa toutes louanges sur lenfant à la mère. Dès la troisième visite, il navait plus besoin de la présence de sa mère dans la salle opératoire. Elle était surprise, surtout que Jeffrey refusait encore de parler à certaines de ses tantes et à quelques-uns de ses oncles! En respectant ses souhaits, on lui a donné le temps quil lui fallait pour sajuster à son environnement. Avec du temps et de la patience, il gagna en estime, ce qui établit les fondements de la confiance.
Je me rappelle particulièrement dun exemple quand Sheri, une jeune de sept ans, est venue pour sa première obturation. Je lai entendu demander à sa mère si on utilisait une aiguille. La mère ne savait pas quoi répondre. Elle ignorait comment réagirait son enfant si elle lui disait la vérité. Tout de suite, je suis allée dans la salle dattente et dis à Sheri que jallais lui expliquer exactement ce quon utilisait, quel son les instruments faisaient et ce quon ressentait. Je lui ai expliqué que, dans un cabinet dentaire, tous les outils étaient longs car, sinon, le dentiste aurait à mettre toute sa main dans la bouche et quon pensait quelle ny rentrerait pas. Lenfant était totalement daccord!
Je lui ai dit quon utilisait un long coton tige pour appliquer un gel doux qui allait geler la dent. Elle apprit que le coton tige resterait dans sa bouche environ deux minutes et que, quand on utiliserait laiguille pour geler complètement la dent, le plus quelle risquait de sentir serait une piqûre de moustique. Je lui montrai quelle longueur daiguille on utilisait. Je rassurai Sheri quelle ne sentirait rien puisque sa dent était endormie. Je lui ai également promis quelle pouvait voir et entendre tous les instruments quon utilisait dans sa bouche.
Je lui ai donné du courage en lui disant que nous connaissions des enfants très braves et que nous leur disions toujours la vérité. Ayant établi un lien, je lui ai offert de rester à ses côtés et de tout lui expliquer au fur et à mesure de la procédure. Je lui ai également expliqué la technique de respiration et pourquoi cétait utile. Armée des faits et dune présence réconfortante, Sheri allait de plein gré se faire faire son obturation.
Ces méthodes variées, renforcées dune compréhension grandissante de limportance de respecter notre résistance naturelle à de nouvelles expériences, ont aidé des centaines de nos patients. Les enfants ne sont jamais poussés à excéder leurs limites. Sils paniquent lors de la procédure, on arrête immédiatement et on me laisse leur parler. Jessaie de trouver quelque chose sur quoi ils pourraient prendre une décision, comme décider de faire faire une ou deux obturations le jour de la visite, et de leur rappeler combien de temps la visite durera suivant ce quil décide. Les louanges abondent, et le courage est reconnu.
On inscrit au dossier de nos jeunes patients de petits détails, comme le surnom de leur chien ou chat ou du copain dont ils vont célébrer lanniversaire. Bien que cette approche paraisse prendre beaucoup de temps, on a remarqué que, une fois les premiers liens de confiance établis, les enfants restent attachés à leur expérience positive. Ils récompensent et encouragent souvent nos efforts en se rappelant de quelque chose dont on a ri à une visite précédente.
Ces deux dernières années, cette approche a livré des résultats étonnants. On restaure les dents denfants aussi jeunes que quatre ans. Notre personnel utilise ces méthodes pour aider les patients jeunes et moins jeunes à gérer leur peur du dentiste. La compréhension, couplée de techniques de respiration, dimagerie méditative et de grosses doses dhumour, est le pivot de notre cabinet. La confiance en est la clé; le respect et la compassion, les catalyseurs.
La confiance quont nos enfants dans notre pouvoir de prendre soin deux est un privilège. Nous avons des albums et des classeurs pleins dimages quils ont coloriées pour nous. Un de nos trésors est un penny reluisant enchâssé dans un montage de radiographies quune petite fille de six ans a donné au dentiste. On partage tous les récompenses de la confiance qui nous est témoignée.
Nos patients nous disent quils se sentent les bienvenus de leur arrivée au cabinet jusquà leur départ. Une femme ma même admis quelle avait entendu dire du bien de notre cabinet, mais quelle ne sétait jamais attendue à partir en riant après chaque visite un commentaire remarquable venant de quelquun à qui on devait extraire le reste de ses dents.
Ce que jai appris et continue dapprendre serait impossible sans notre dentiste et les normes de soins intégraux quil a établies. «Vous ne traitez jamais une dent. Rappelez-vous toujours que vous traitez une personne toute entière.» Notre cabinet repose sur une telle philosophie.
Ces techniques ont profité à notre dentiste et à notre personnel. En réduisant le stress en milieu de travail, nous avons plus le temps dévoluer en tant quéquipe, daxer nos efforts sur les soins et le respect de chacun. Lhabileté croissante de notre personnel à afficher compassion et sens de lhumour est indispensable à létablissement dune telle philosophie.
Les mots de Herbert Otto décrivent le mieux nos efforts continus : «Nous fonctionnons tous à une petite fraction de notre capacité à vivre pleinement dans le sens plein de lamour, de la sensibilité, de la créativité et de laventure. Cest pourquoi la réalisation de notre potentiel peut représenter laventure la plus remarquable de notre vie.»
Mme Tabakman est gérante de cabinet à la clinique dentaire Maple Creek Dental, à Maple Creek (Saskatchewan).
Les vues exprimées sont celles de lauteure et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de lAssociation dentaire canadienne.