Prévention et traitement des caries débutantes de puits et de fissures à l’abrasion par jet d’air

• Chris L. Bryant, B.Sc., DMD •

© J Can Dent Assoc 1999; 65:566-9


[La carie cachée : une impasse clinique |Les variables de l’abrasion par jet d’air|Conseils cliniques|Les cas cliniques|Conculsion |Références] 

Les méthodes de diagnostic traditionnelles et non destructrices des caries de puits et de fissures, comme l’explorateur et les radiographies, ont un usage limité dans le dépistage des lésions débutantes et de celles qui s’étendent jusque dans la dentine1-3. Par ailleurs, les tests bactériologiques échantillonnés dans les lésions dentinaires débutantes ne portent guère à croire qu’on peut «enfermer hermétiquement» la carie lorsqu’elle est présente4-5. Avec l’apparition des caries de puits et de fissures comme le type de nouvelles caries le plus fréquent dans la population, le diagnostic précis et la prévention précoce deviennent de plus en plus importants. Cet article présente aux cliniciens une technique de traitement de cette carie cachée, qui affecterait 15 p. 100 des première et deuxième molaires chez les jeunes de 6 à 18 ans6.

[ Top ]


La carie cachée : une impasse clinique

Malgré l’accessibilité aux fluorures, les caries de puits et de fissures constituent près de neuf dixième des nouvelles caries chez les enfants et les jeunes adultes8,9. Le déclin des caries interproximales et sur les surfaces lisses ne s’est pas manifesté dans les caries de fissures. Tandis que la morphologie et la concentration du fluorure dans les fissures de l’émail jouent un rôle significatif dans la diminution des caries en général, le rôle du fluorure dans le ralentissement de la carie dentinaire est très douteux10. Tous les efforts cliniques visant à reminéraliser les lésions débutantes doivent donc faire une distinction entre les lésions de l’émail (succès) et les lésions atteignant la dentine (échec).

Le diagnostic (au moyen d’un explorateur uniquement) d’une lésion carieuse qui s’étend jusqu’à la dentine a une spécificité élevée, mais une sensibilité faible11. Ceci suggère que la majorité des cliniciens serait d’accord sur ce qui constitue une lésion de puits et de fissures, mais seraient divisés considérablement sur le diagnostic précoce et le traitement de petites lésions qui progressent lentement. Face à cette impasse12, les dentistes ont traditionnellement adopté une des deux philosophies de traitement suivantes : traiter ou surveiller.

Non traitées, ces lésions constitueraient-elles un risque? Est-ce qu’un sous-diagnostic à court terme mène à une erreur de diagnostic à long terme, voire à un surtraitement. Tandis que les avantages d’une absence de traitement à long terme sont discu tables13, le succès à long terme des interventions conservatrices — soit sous forme de scellants14 ou de procédures légèrement inva sives15 — est indéniable. Comme telle, la préparation des dents à l’abrasion par jet d’air est, à long terme, idéale pour les patients.

[ Top ]


Les variables de l’abrasion par jet d’air

Les unités d’abrasion par jet d’air permettent au clinicien de faire converger les particules d’oxide d’aluminium sur un endroit spécifique de la dent. Les capacités de restauration de cette technique sont très larges et dépendent de la façon dont l’opérateur contrôle les variables suivantes.

La pression

Tandis que la plupart des unités disponibles fonctionnent entre 40 et 140 livres par pouce carré, la pression efficace la plus basse devrait être utilisée afin d’atteindre la préparation désirée de la dent. Pour le nettoyage de la surface de la fissure avant l’application du scellant, une exposition à 40 livres par pouce carré est suffisante, tandis que l’ablation d’une carie plus extensive requiert une pression de 80 livres par pouce carré ou plus à la sortie de l’embout.

Grandeur de l’ouverture de l’embout

L’ouverture varie entre 0,015 et 0,027 pouce de diamètre. Un embout plus large permet à plus de particules de passer par l’ouverture et s’adapte bien à des préparations plus poussées, tandis que les embouts plus petits sont mieux adaptés aux applications discrètes comme les restaurations préventives en résine.

Angle de l’embout

Bryant1.jpg (21834 bytes)
Illustration 1 : Pièce à main d’abrasion par jet d’air.

Du fait que l’incidence de l’angle influe sur la facilité de préparation, les fabricants ont créé une gamme d’embouts variant de 40º à 120º, qui donnent accès aux surfaces occlusales et aux fissures distaux des molaires supérieures. L’illustration 1 montre une pièce à main avec un embout de 90º.

 

Distance de l’embout

En positionnant l’embout à moins de 2 mm de la surface cible, le clinicien maximise la convergence du jet abrasif. En le plaçant plus loin, les particules perdent de la pression et de leur organi sation, ce qui résulte en une perte de la capacité de couper.

Temps d’exposition

Avec un temps d’exposition prolongé, on obtient une prépa ration plus profonde. Un bon accès visuel et une vérification fréquente de l’étendue de la préparation de la dent est recommandé du fait que le sens tactile associé à une pièce à main rotative conventionnelle est absent.

La grosseur des particules

Alors qu’une poudre d’oxyde d’aluminium à 27 µ est la norme pour les préparations intrabuccales, certaines unités peuvent utiliser une poudre à particules plus grosses, soit de 50 µ. À mon avis, il est préférable d’utiliser la poudre de 50 µ pour les travaux extrabuccaux étant donné son action de coupe excessive et la difficulté de contrôler une surpulvérisation.

[ Top ]


Conseils cliniques

Des protocoles cliniques sont disponibles pour aider les dentistes à intégrer avec succès l’abrasion par jet d’air dans leur routine journalière.

Le choix des cas

Bien que l’implication et la collaboration du patient contribuent de façon significative à l’habileté du clinicien à offrir une restauration «sans anesthésie», le choix des cas devrait être basé premièrement sur l’étendue de la carie. Par exemple, l’anesthésie traditionnelle et les fraises rotatives devraient être utilisées dans les caries dentinaires extensives ou sur une dent symptomatique afin d’assurer au patient une expérience agréable et une restauration libre de carie résiduelle.

Si la dentine est atteinte lors de l’abrasion par jet d’air, il faudra informer le patient que la majorité des personnes perçoivent une légère sensation de «fraîcheur» lorsque les particules de l’abrasion complètent l’ablation de la carie et viennent en contact avec les tissus sains (c.-à-d., une dentine affectée, vitale et pouvant recevoir un adhésif). À de rares occasions, vous pouvez utiliser un anesthésique local si le patient n’apprécie pas cette sensation ou si la carie est plus profonde que prévue.

La digue

Si le contrôle de l’humidité et l’isolation adéquate sont en jeu, une digue doit être employée pour la protection du patient et l’intégrité d’adhésion16. Même si un anesthésique local n’est pas utilisé, une équipe dentaire peut quand même placer un crampon de rétention de la digue si un anesthésique topique est déposé avec un pinceau jetable dans le sulcus près de la jonction de l’épithélium et de la dent.

Le contrôle de la poudre

Une variété de méthodes et de produits d’assèchement en vue de contrôler une surpulvérisation inoffensive sont disponibles. Quant à moi, je préfère utiliser un système de succion centrale. Il faut particulièrement faire attention à l’angle de l’embout et à la position de la succion pour maximiser l’efficacité de l’évacuation.

Le choix du matériau de restauration

Les matériaux de restauration adhésifs doivent être choisis avec soin. Les composites à basse viscosité peuvent être utilisés sur les surfaces d’émail ayant reçu une préparation minimale (restauration préventive en résine) en autant que les contacts occlusaux soient évités. Autrement, les microhybrides conventionnels seront employés lorsque les restaurations plus volumineuses excèdent les limites des composites à basse viscosité.

[ Top ]


Les cas cliniques

Les trois cas suivants représentent l’usage typique de l’abrasion par jet d’air sur les surfaces des puits et des fissures chez les enfants et les jeunes adultes. Il faut se rappeler que plusieurs cas demanderont une application simultanée des trois modes de traitement dans le but d’atteindre les objectifs de restauration complète de la dent.

Cas 1 : Scellant de puits et de fissures

On ne peut que mettre l’accent sur l’importance de traiter convenablement les cas des fissures susceptibles à la carie. Nos premiers efforts doivent atteindre des résultats prévisibles et réussis. Le taux de rétention des scellants, s’il est utilisé comme indicateur de succès à long terme, varie dans la littérature. Une perte de 5 à 10 p. 100 par année de son intégrité semble représenter la norme clinique17. Les causes probables de ces pertes comprennent un mauvais choix de cas ou un nettoyage et un mordançage inadéquats de l’émail de la fissure18.

Bryant2.jpg (28764 bytes) Bryant3.jpg (28031 bytes)
Illustration 2 : Fissures susceptibles. Illustration 3 : Scellant placé.

Les illustrations 2 et 3 montrent une morphologie des prémolaires mandibulaires susceptible à la carie chez un préadolescent qui requiert des scellants. Après qu’une absence clinique de carie a été assurée, une brève application du jet a enlevé la plaque et les autres matières organiques qui auraient pu empêcher le mordançage et la liaison d’un matériau de scellement photopolymérisé. Le contrôle de l’humidité par des rouleaux de coton et la pompe à salive est suffisant dans ces cas à la condition que le champ soit isolé durant toute la procédure. Autrement, il faudrait utiliser d’autres techniques d’isolation du champ opératoire afin d’assurer la qualité du scellement.

Cas 2 : Restauration préventive en résine

Lorsque l’émail atteint doit être enlevé dans le complexe des fissures, une restauration préventive en résine peut être employée. Cette procédure comporte une préparation minimale de la dent suivie de l’application d’un agent scellant et d’une restauration adhésive.

L’illustration 4 montre une deuxième molaire inférieure où l’explorateur a «accroché» et démontre que l’utilisation d’un scellant seul aurait été inappropriée comme traitement de choix à cause de la déminéralisation précoce de l’émail. On décida d’enlever l’émail déjà atteint (Ill. 5), et un matériau liant de la quatrième génération fut inserré (Ill. 6). Le matériau de restauration qui fut choisi était un microhybride à basse viscosité. Aucun anesthésique local fut utilisé autre que l’application d’un anesthésique topique dans le sulcus gingival pour faciliter la pause de la digue.

Bryant4.jpg (27477 bytes) Bryant5.jpg (31729 bytes) Bryant6.jpg (30611 bytes)
Illustration 4 : Restauration préventive en résine indiquée — «accrochage» lors de l’exploration. Illustration 5 : Émail carié enlevé. Illustration 6 : Insertion du composite à basse viscosité.

Cas 3 : Restauration en résine composite

Lorsqu’on s’attend à ce que la carie s’étende dans la dentine et élargit la cavité, il faut envisager d’utiliser des composites microhybrides conventionnels. Soucieux des rapports occlusaux, on a identifié la relation de contact entre les surfaces occlusales avant la mise en bouche de la digue (Ill. 7). Une fois que l’émail déminéralisé fut enlevé (Ill. 8) et la dentine cariée exposée, un colorant pour la carie fut appliqué sur la dent (Ill. 9), puis rincé après 15 secondes. La dentine atteinte (cariée) pouvait donc être différenciée de la dentine saine (Ill. 10). Un agent liant pour la dentine fut placé, et un composite microhybride inserré (Ill. 11 et 12). (Notez la nature discrète de la préparation de la dent à l’abrasion par jet d’air et la présence des marques initiales du papier articulateur qui sont restées intactes durant toute la procédure.)

Bryant7.jpg (30893 bytes) Bryant8.jpg (28635 bytes) Bryant9.jpg (35363 bytes)
Illustration 7 : Carie évidente sur la première molaire supérieure. Illustration 8 : Émail déminéralisé enlevé. Illustration 9 : Colorant de détection de la carie placé sur la dentine exposée.
Bryant10.jpg (29017 bytes) Bryant11.jpg (32123 bytes) Bryant12.jpg (30442 bytes)
Illustration 10 : Dentine cariée à être enlevée Illustration 11 : Dent restaurée avec un composite microhybride conventionnel. Illustration 12 : Relation occlusale.

Tandis que la validité du colorant de la carie dans l’identification de la carie dentinaire est bien documentée, son application à l’émail est non fondé et pourrait aboutir à des résultats positifs fauxé, comme on peut le voir sur la paroi transversale de la deuxième molaire dans l’illustration 10. Dans ce cas, seulement un scellant et une restauration préventive en résine furent indiqués sur les dents avoisinantes.

Cette restauration d’une première molaire supérieure fut faite sans anesthésie locale et n’a pris que 15 minutes à compléter une fois la digue mise en place.

[ Top ]


Conclusion

Un facteur clé dans le diagnostic des caries de puits et de fissures est l’identification précoce des lésions carieuses qui sont petites et difficiles à trouver, suivi d’une technique de prévention ou de restauration. La préparation à l’abrasion par jet d’air fournit à l’équipe dentaire une flexibilité inégalée dans le traitement de telles surfaces.

On prévoit déjà d’enregistrer des progrès dans le domaine de la carie de puits et de fissures. La recherche sur la complexité anatomique du système des fissures est requise, ainsi que des évaluations cliniques à grande échelle sur les matériaux et les techniques de gestion des caries débutantes. L’amélioration des matériaux, tels que les scellants liés à l’acide et réduits par polymérisation, pourra diminuer davantage le taux d’échec des scellants. La détection de la carie sous-occlusale par des appareils de fluoroscopie au laser serait souhaitable.

Finalement, la présomption que les mesures invasives et préventives minimales ne s’appliquent qu’aux enfants et aux adolescents doit être changée. L’avantage financier d’étendre ces services au-delà de la période de l’adolescence aux patients et au tierce partie, en l’occurrence les assureurs, est indéniable19.

[ Top ]


Le Dr Bryant exerce dans un cabinet privé à Sooke (C.-B.).

Demandes de tirés à part : Dr Chris L. Bryant, 6588, ch. Sooke, C.P. 951, Sooke, BC V0S 1N0

L’auteur n’a aucun intérêt financier déclaré dans la ou les sociétés qui fabriquent les produits mentionnés dans cet article.

[ Top ]


Références

1. Lussi A. Comparison of different methods for the diagnosis of fissure caries without cavitation. Caries Res 1993; 27:409-16.

2. Penning C, van Amerongen JP, Seef RE, ten Cate JM. Validity of probing for fissure caries diagnosis. Caries Res 1992; 26:445-9.

3. Weerheijm KL, Groen HJ, Bast AJ, Kieft JA, Eijkman MA, van Amerongen WE. Clinically undetected occlusal dentin caries: a radio graphic comparison. Caries Res 1992; 26:305-9.

4. Weerheijm KL, de Soet JJ, van Amerongen WE, de Graff J. Sealing of occlusal hidden caries lesions: an alternative for curative treatment? ASDC J Dent Children 1992; 59:263-8.

5. Weerheijm KL, Kreulen CM, de Soet JJ, Groen HJ, van Amerongen WE. Bacterial counts in carious dentine under restorations: 2-year in vivo effects. Caries Res 1999; 33:130-4.

6. Weerheijm KL, Gruythuysen RJ, van Amerongen WE. Prevalence of hidden caries. ASDC J Dent Child 1992; 59:408-12.

7. Brunelle JA. Oral health of United States children. The national survey of dental caries in U.S. school children; 1986-87. In: National and regional findings. U.S. Department of Health and Human Services, 1989; NIH Publication No. 89:2247.

8. McDonald SP, Sheiham A. The distribution of caries on different tooth surfaces at varying levels of caries — a compilation of data from 18 previous studies. Community Dent Health 1992; 9:39-48.

9. Weerheijm KL, Kidd EAM, Groen JH. The effect of fluoridation on the occurrence of hidden caries in clinically sound occlusal surfaces. Caries Res 1997; 31:30-4.

10. Pearce E, Larsen M, Coote G. Fluoride in enamel lining pits and fissures of the occlusal groove-fossa system in human molar teeth. Caries Res 1999; 33:196-205.

11. Tveit AB, Espelid I, Fjelltveit A. Clinical diagnosis of occlusal dentin caries. Caries Res 1994; 28:368-72.

12. Liebenberg WH. The fissure sealant impasse. Quintessence Int 1994; 25:741-5.

13. Sheiham A. Impact of dental treatment on the incidence of dental caries in children and adults. Community Dent Oral Epidemiol 1997; 25:104-12.

14. Simonsen RJ. Retention and effectiveness of dental sealant after 15 years. JADA 1991; 122:34-42.

15. Metz-Fairhurst EJ, Adair SM, Sams DR, Curtis JW, Ergle JW Jr., Hawkings KI, and others. Cariostatic and ultraconservative sealed restorations: nine-year results among children and adults. ASDC J Dent Children 1995; 62:97-107.

16. Liebenberg WH, Crawford BJ. Subcutaneous, orbital, and mediastinal emphysema secondary to the use of an air-abrasive device. Quintessence Int 1997; 28:31-8.

17. Feigal RJ. Sealants and preventive restorations: review of effectiveness and clinical changes for improvement. Pediatr Dent 1998; 20:85-92.

18. Futatsuki M, Kubota K, Yeh Y, Park K, Moss SJ. Early loss of pit and fissure sealant: a clinical and SEM study. J Clin Pediatr Dent 1995; 19:99-104.

19. Stahl JW, Katz RV. Occlusal dental caries incidence and implications for sealant programs in a US College student population. J Public Health Dent 1993; 53:212-8.

[ Top ]